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Libération

Face-à-frère

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publié le 23 octobre 2010 à 0h00

Cette photographie en appelle une autre. Prise par Marc Riboud le 21 octobre 1967 à Washington devant le Pentagone, lors d'une marche pour la paix au Vietnam. On y voit une jeune fille, Jane Rose Kasmir, tentant d'opposer son beau visage et une fleur à la force des baïonnettes. Ce qui tendrait à prouver qu'il y a aujourd'hui, depuis le temps, échappant à leurs auteurs, un inconscient des images tout aussi puissant que l'inconscient des esprits ou l'incorporel des corps. Cette mémoire virtuelle nous hante et peut resurgir quand les circonstances, le fameux contexte de toute image, le favorise. Ce qui ne veut pas dire que Gonzalo Fuentes, le photographe instruisant les manifestations parisiennes de l'automne 2010, copie ou singe le Marc Riboud de 1967. Plus simplement ou naïvement, à son insu, le photographe d'actualité fait revenir sur la scène du XXIe siècle une icône du XXe siècle : comme une allégorie de la jeunesse protestataire opposant ad aeternam sa non-violence à la violence d'une police d'Etat.

Ce qui fait fédération d'une image à l'autre, ce n'est pas le style mais l'homme. A savoir, en l'espèce, un jeune homme visible et, face à lui, un autre jeune homme au visage nettement moins perceptible, la visière de son casque et surtout les articulations de son uniforme de matraqueur distrayant l'attention. C'est même ce détail articulaire qui obsède. On imagine que des «couturiers» ont travaillé à cet uniforme. Qu'avaient-ils en tête