Il faut n’avoir jamais marché deux heures durant sous des trombes persistantes, par un froid samedi d’automne, pour imaginer que 375 000 manifestants, selon les contes des compteurs policiers, c’est peu. Des syndicalistes résignés, des socialistes frileux et des commentateurs suivistes, la pluie fit des carpettes. Plusieurs centaines de milliers de manifestants dans plus de deux cents cortèges, le 6 novembre, c’était pourtant encore énorme. Enorme de frustration impuissante d’avoir huit fois en vain arpenté le pavé.
Les troublantes rodomontades de Thibault («On ira jusqu'au bout», qu'est-ce que ça veut dire ?) nous laissent sceptiques, et le tour de passe-passe prétendant rhabiller cette raclée en promesse de lendemains triomphants («victoire à la Pyrrhus pour le gouvernement») aussi. On entend trop bien, hélas, que le leader de la CGT s'applique à bordurer une base qui, ça et là et désespérément, refuse l'humiliation sèche et brutale qui enterre, outre la revendication conjoncturelle du droit à partir vivant à la retraite, tout ce qui remettait en cause l'essentiel : la nature même des rapports sociaux de production, à l'heure où le travail n'épanouit plus nulle part, mais partout casse les corps et détruit les cerveaux (lire, dans Libération de mercredi, «Bosser cabosse», rubrique Vous, page 25). On perçoit de même trop bien la prudence extrême d'une opposition socialiste qui, ostensiblement claironnant qu'elle se rangerait derrière l'intersyndica