Même si le sépia l’a teintée et jaunie, cette photographie ancienne (1890) est en noir et blanc. Ou, plus littéralement, entre Noirs et Blancs. On y voit un groupe de quatorze hommes (quatorze et demi si l’on compte le corps qui est coupé en deux par le bord droit du cadre). La majorité d’entre eux sont des Noirs. Employés à des travaux de voirie dans les rues de Saint-Louis (Missouri). On voit qu’à cet instant, ils ne travaillent pas, se sont assis sur une poutrelle dont on ne sait si elle est un rail ou la bordure d’un trottoir. On note aussi, au premier plan, un puissant gaillard qui s’est allongé sur les pavés. Certains portent des pantalons à rayures, probablement en coutil, des vestons fatigués, des chapeaux mollassons ou, unique occurrence, une toque. Il y en a deux qui fument la pipe, deux autres qui regardent ailleurs. Le personnage le plus central, géant presque souriant, serre contre lui un individu replet avec une ostentation (main sur l’épaule) qui suggère de la tendresse. Ce petit homme protégé est peut-être une femme. Ou alors le vilain canard de la troupe que le costaud a glissé sous son aile.
Ils ont tous l’air pauvres, démunis, fatigués et graves. Pourtant leur mise et leur attitude ne sont pas de soumission. Leurs vêtements ne sont pas de travail. Ces gars-là se sont mis propres et beaux, avec ce qu’ils possèdent de mieux, de plus présentable, pour la photo. Voilà ce qui frappe : une certaine fierté de poser, d’être considéré. L’orgueil d’être là. Le portra