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Libération

Assassins d’aube

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La Semaine d'Aline Kiner
par Aline Kiner
publié le 19 mars 2011 à 0h00

SAMEDI

SILENCES

Premier geste, ce matin : allumer la radio. Combien de morts ? Les premiers mots que j'entends sont ceux du correspondant de France Inter. Il ne parle pas de morts, mais de silence - le silence dans Tokyo. Et aussi des gens qui marchent dans la rue, lentement. En silence et avec lenteur… C'est ainsi que se sont imprimées dans ma tête les images du tsunami. Vendredi, quand elles commencent à arriver depuis le Japon, je suis à mon bureau. Je boucle un travail autour de la conquête de l'espace. Sur la table, les pages que je dois relire. Sur l'écran de l'ordinateur, les vidéos de la catastrophe : filmée depuis un hélicoptère, la grande vague avance sans bruit, au ralenti, onde noire, compacte, qui charrie des voitures, des maisons, et des hommes. Mes yeux vont des unes aux autres, avec un sentiment d'irréalité. Je relis un entretien d'Alain Dupas, chercheur en politique spatiale. Il évoque les clichés de la Terre diffusés par Apollo 8, la veille de Noël 1968. Pour la première fois, les hommes percevaient notre planète dans sa globalité. Un point bleu pâle, dans l'immensité grise de l'univers. Fragile. Je me dis que les hommes ont oublié qu'ils l'étaient aussi. Que la terre qu'ils ont domestiquée, asservie, d'un soubresaut peut les écraser. A côté de moi, quelqu'un parle de «piqûre de rappel». Nous ne savons formuler que des banalités. Les experts vont défiler, décortiquer les mécanismes sismiques, les procédés antisismiques. Au 20 heures, on apprivoisera la catastrophe