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Libération

L’être et l’étang

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publié le 9 juillet 2011 à 0h00

Ceci est le portrait véridique d’un visage qui n’existe pas. Il a pourtant un nom et, partant, une identité : Nam Péou, sexe masculin, nationalité cambodgienne, âge : 83 ans. Signe particulier : néant. Un néant en la circonstance bien nommé, puisque cette photo d’identité est celle d’un mort-vivant. C’est à n’y rien comprendre si on ne sait pas que ce portrait en cache un autre, puisqu’il est le résultat d’une manipulation par le logiciel Photoshop qui a permis la superposition de deux photos à deux époques différentes. Monsieur Nam Péou en 1975, et le même à l’automne 2010. Cette technique de vieillissement artificielle et hypothétique est régulièrement utilisée dans la recherche des personnes disparues. Elle fut aussi mise en œuvre dans les années 50-60 pour déceler les anciens nazis sous les traits de quelque honorable sexagénaire sud-américain, notamment Adolf Eichmann.

Le procédé explique en partie le flou qui trouble les traits du visage de Nam Péou et l’intriguant diadème de cheveux noirs posé sur son crâne dégarni. Ce visage est comme un paysage, un étang d’eaux profondes et noires dérangées de leur quiétude trompeuse pour peu qu’on y fasse ricocher les petits galets d’une mémoire effroyable. Dans les rides qui font trembler la surface des apparences, on peut lire que M. Nam Péou fut une parmi les 2,2 millions de victimes (un quart de la population du Cambodge) qui subirent la purification révolutionnaire déchaînée par Pol Pot et ses séides entre avril 1975 et janvier