Samedi
Pièges ludiques
Quinze ans que je n'ai pas tenu mon journal. La dernière fois, c'était sur Internet. «Le journal de l'Enervé». On n'appelait pas encore ça un blog, et les seuls journalistes à avoir une adresse mail étaient ceux du cahier Multimédia de Libé. Aujourd'hui, ce journal, c'est pour du papier. Du numérique au physique : irais-je dans le sens inverse de l'évolution ?
L'Europe prend l'eau, je prends les devants. Je suis à Venise pour des raisons qui n'appartiennent qu'à moi. «Venise est l'une des villes les plus psychédéliques que je connaisse», dit l'artiste californien Thomas Houseago. Comme il a raison. Est-on dans un palais ou dans son reflet ? Ici, les illusions d'optique se catapultent. «La drogue Venise», dit Régis Debray, son meilleur ennemi, mithridatisé contre ses pièges ludiques. Dans une vieille maison du quartier de l'Arsenal investie par des artistes irakiens, ça rigole moins. Une vidéo présente un homme qui fait ses ablutions à l'aide d'une écuelle de métal. Il verse l'eau doucement sur sa tête, elle glisse sur son torse nu jusqu'à son pagne. Il ferme les yeux. Sur la droite, le même homme est peu à peu recouvert de nuages liquides aux couleurs lourdes et suspectes. L'eau est polluée, l'homme s'empoisonne. L'artiste invalide l'idée même de purification par l'eau, universelle et millénaire. Je pense à Enki (Bilal) et sa «planétologie». Au «coup de sang» de la planète qu'il met en