Aux yeux de certains auteurs, les genres artistiques dits mineurs - qui fleurissent dans les séries télévisées, les films ou les romans populaires - sont beaucoup plus que des amusements voués à meubler le temps qui nous sépare de notre tombe. Ces œuvres auraient la particularité de labourer nos esprits à notre insu, nous incitant à penser la réalité politique d’une manière bien déterminée.
Dans l'un des chapitres de son essai Enigmes et complots. Enquêtes sur les enquêtes (Gallimard), le sociologue Luc Boltanski applique cette théorie aux récits policiers. Bien que ce genre littéraire ne pousse que dans les jardins doux des démocraties - on sait que les dictatures ne le tolèrent guère -, sa fonction serait d'occulter les contradictions structurelles de ces régimes politiques. Plus précisément, les récits policiers nous habitueraient au fait que l'égalité des citoyens et l'autolimitation de l'Etat seraient des mascarades vouées à dissimuler un système de classes inégalitaire ainsi qu'un pouvoir politique qui ne cesse de dépasser les limites qu'il se donne. Ainsi, au lieu de nous inciter à prendre conscience de ces vérités et à éveiller nos capacités critiques, ces récits agiraient comme des opiums des peuples.
Pour étayer cette hypothèse, Boltanski concentre ses analyses sur les récits policiers des origines (Poe, Conan Doyle) et en particulier sur les aventures du fantasque détective Sherlock Holmes. Il les oppose au récit policier apparu en France après 1968, ainsi