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Libération

La Seine, dit Duras, c’est le Mékong

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publié le 16 mai 2014 à 18h06

Un matin de mai, à Paris, j’ai ouvert ma fenêtre et c’était Bangkok. Ou Bombay. Ou Le Caire. L’air jaune et poudreux. Les immeubles flous, les klaxons et une odeur poivrée dans l’air, pots d’échappement, égout et sucre. C’était un jour où la pollution était plus forte que d’habitude, un «pic». La chaleur était bizarre, collante, étouffante. Les bruits même semblaient différents. Peut-être l’air pollué porte-t-il différemment les ondes ? Une clameur ronde sous le ciel épais. Je fermais les yeux et j’aurais pu me croire au marché aux pneus de Bombay, dans l’odeur caoutchouteuse, avec les appels des passants, les clochettes des marchands. Mais j’étais seulement au-dessus d’une des avenues les plus saturées de Paris, traversée de piétons, dans le ding, dong des bus, le clac, clac du tramway, les sifflets des flics. La ville rendait un écho qui était déjà un ailleurs.

La Seine, disait Duras, c’est le Mékong. Elle voulait peut-être dire qu’un seul fleuve rappelle tous les fleuves. Ou bien quoi ? Qu’est-ce qu’elle voulait dire ? Elle parlait pour elle, mais avec ce talent d’écrire pour beaucoup d’autres. Cette force d’affirmation qui fait s’ouvrir un paysage mental et des mondes.

Dans l’air jaune et poudreux du Caire, je me souviens d’un type qui faisait son jogging au ras des voitures. «Le long du Nil» ne doit évoquer ni felouques ni crocodiles mais un grillage fatigué, une chaussée défoncée et une absence de trottoir en bord d’embouteillage. Le type courait comme un athlète, à plei