Menu
Libération
Chronique «Ecritures»

Sentiment dix

Article réservé aux abonnés
publié le 30 mai 2014 à 18h06

Dans Mirage de la vie, de Douglas Sirk, une jeune fille métisse, sa mère est noire, son père est blanc mais elle ne le connaît pas, compte se servir de sa beauté et de sa peau claire pour vivre la vie qu'elle aurait eue si ses deux parents avaient été blancs.

Dans l'Esclave libre, de Raoul Walsh, la fille d'un grand propriétaire blanc, à la mort de son père, découvre que sa mère était une esclave qui travaillait dans la plantation, sa peau claire l'a laissé croire jusque-là qu'elle était blanche à cent pour cent. Elle ne l'est pas, elle va être vendue.

La semaine dernière, un ami, à qui je disais que cet été j'aimerais échanger mon appartement avec des New-Yorkais, m'a répondu qu'il ne fallait pas rêver, même si «l'appartement est génial», disait-il, jamais des Américains ne viendraient dans mon quartier. J'habite le quartier noir au-dessus de Barbès, et souvent quand je rentre chez moi, je suis la seule Blanche de la rue. Cet ami disait ça sur le ton de qui vous met face à la réalité. Je me suis sentie rougir jusqu'à la racine des cheveux. Et senti d'un coup le feu envahir mes joues et mon cou.

Nous étions dans un café. Tout mon visage flambait, se colorait. Ça ne m'était pas arrivé depuis longtemps. Comme toujours dans ces cas-là, je n'étais pas sûre que ce soit visible de l'extérieur, j'espérais que ça ne le soit pas. Que l'afflux de sang ne se voyait pas trop. Que j'étais seule consciente de la gêne qui m'envahissait, qu'à l'ami qui me regardait e