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Libération

Le paquebot et la barque

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publié le 13 juin 2014 à 18h16

A Noël dernier je suis partie en croisière avec mes trois enfants, sur un bateau Costa. Mes enfants étaient contents, pour une fois qu’on n’allait ni au musée ni au théâtre, mais qu’on se pouvait se gaver de junk food en jouant aux machines à sous. Entre Malte et Lampedusa, je me suis demandé ce qui se passerait si nous croisions une barque de migrants en détresse. Si le droit de la mer, qui oblige à les sauver, détournerait de sa route l’énorme paquebot (3 000 passagers, 1 000 employés).

Six mois après, invitée au Niger et poursuivie par l’idée, j’allais rencontrer des «refoulés de Libye» : les migrants que la Libye (et l’Europe via les accords de son agence Frontex) a renvoyés de l’autre côté de la frontière, au Niger. Des Ghanéens, des Sierra-Léonais, des Ivoiriens, des Guinéens, se retrouvent ainsi échoués dans un pays qui ne leur est rien. Chez Mauro, un prêtre qui tente d’aider les migrants à Niamey, j’ai rencontré un couple de Libériens, Benedict et Patricia. Leur bébé était mort. Ils avaient tout perdu sauf - chez Benedict du moins - le besoin de raconter, et de croire qu’il pouvait encore se déplacer dans l’espace. Qu’il y avait une issue. Un lieu où se tenir. Habiter quelque part.

Mauro récuse l'expression «sans papiers», il dit «les invisibles». A l'échelle de la planète, grandit ainsi une population sans travail, sans toit, sans papiers, sans droits. Même pas dénombrée. Sans place. Une population superflue. Il y a très peu de travail à Niamey, et les cland