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Libération

Sentiment onze

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publié le 27 juin 2014 à 18h07

J’ai beau être une femme occidentale, me considérer comme un être libre et circuler tête nue dans l’espace public, je suis un personnage de seconde zone. Dans la rue, dans les taxis, dans le métro… quand j’entre dans la rame, s’il reste un strapontin libre, je le rabats et je m’assois. Si c’est un homme qui est à côté de moi, souvent, ses genoux sont si écartés, le volume qu’il occupe si important, que sa jambe empiète de moitié au moins sur l’espace devant moi. Une fois mon strapontin rabattu, j’étais pourtant censée utiliser ces trente centimètres carrés pour y poser mes pieds, idéalement l’un à côté de l’autre, orteils décrispés dans mes chaussures, jambes pliées à angle droit, dos appuyé. Je ne le peux pas. Je dois croiser les genoux, reculer le pied sous l’assise du strapontin et enrouler l’autre cheville autour de la jambe d’appui dont le pied au sol assure mon équilibre. Mon voisin, qui remplit la totalité de son espace ainsi que la moitié du mien, ne bouge pas. Comme s’il ne m’avait pas vue. N’avait pas pris conscience du fait que je me sois assise à côté de lui après avoir rabattu le strapontin à côté du sien. Comme si ça ne l’effleurait pas. Il ne réduit pas la surface que ses membres dessinent autour de lui. Il ne resserre pas ses cuisses. Il ne rapproche pas de son autre jambe celle qui mange la place qui m’était dévolue et m’oblige à reculer mes fesses pour coller mon dos au siège et gagner quelques centimètres à l’arrière. Son pied, solidement chaussé, contrain