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Libération

Apologie de l’intermittence

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par Michaël Fœssel, professeur de philosophie à l’école Polytechnique.
publié le 4 juillet 2014 à 18h06

La division du travail instaurée au XIXe siècle passait par une opposition entre le travail et la création qui semble passée de mode. A écouter le discours managérial dominant, l'affaire est entendue : le travailleur du futur ressemblera à un artiste. Depuis quelques décennies déjà, le risque et l'incertitude ont cessé d'être l'apanage des créateurs pour devenir le lot commun des agents économiques. Que demande-t-on au salarié d'aujourd'hui, sinon d'être provocateur, insoumis et mobile à la manière d'un artiste sans attache ni tabou ? La valorisation sociale de l'insécurité a franchi les frontières de l'art pour devenir un mot d'ordre pour le travail ordinaire.

A juste titre, les sociologues ont insisté sur le caractère idéologique de cette description du travailleur en artiste. De la condition d'artiste, le management retient seulement ce qui favorise la dérégulation du temps de travail : absence d'horaires fixes, mobilisation infinie, investissement sans borne. Collectionneuse d'art, Laurence Parisot avait vendu la mèche en posant une question rhétorique devenue célèbre : «La vie, la santé, l'amour sont précaires, pourquoi le travail échapperait-il à cette loi ?» Comme souvent, les arguments en faveur de la tyrannie du travail se fondent sur une ontologie hasardeuse. Si la précarité est la «loi» de l'existence et l'insécurité l'essence de toutes choses humaines, il n'y a aucune raison d'offrir des garanties sociales aux travailleurs. La référence à l'art