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Libération

Les ambivalences du progressisme

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publié le 17 octobre 2014 à 17h06

En 1922, l’assemblée annuelle des neurologues de Saxe se réunit autour de la question : «Le médecin a-t-il le droit de tuer ?». Dans l’ambiance libérale de la République de Weimar, les réflexions se multiplient sur les vies qui ne sont pas «dignes d’être vécues». Il s’agit surtout des handicapés mentaux dont certains médecins envisagent, avec les meilleures intentions du monde, d’abréger les souffrances. On retrouvera beaucoup de ces médecins pétris d’humanisme scientiste au sein de l’opération T4 qui, à partir de 1939 etsur ordre de Hitler, mettra en œuvre l’élimination dans des chambres à gaz des malades mentaux.

A l'heure où, par exemple à propos de Heidegger, il est de bon ton de se demander comment des esprits supérieurs ont pu adhérer au national-socialisme, vient de paraître en France un livre troublant sur cet assassinat des malades mentaux sous le IIIe Reich (1). Son auteur, Götz Aly, compte parmi les meilleurs spécialistes du nazisme et de la Shoah, mais son travail n'est pas seulement celui d'un historien. Sa thèse est que le national-socialisme, loin d'être un phénomène antimoderne, accomplit certaines des tendances les plus fortes de la modernité : hygiénisme militant, promotion du «progrès» même par la violence, rationalité instrumentale, efficacité bureaucratique.

Dans ce cadre, l'euthanasie des malades mentaux, au cours de laquelle plus de 200 000 Allemands et autant de Slaves furent assassinés légalement, prend une dimension vertigineuse. Les milita