Lorsque j'ai reçu cette invitation pour parler du courage d'être moi (1), mon ego a d'abord ronronné comme si on lui proposait une page de publicité dont il serait en même temps l'objet et le consommateur. Je me voyais déjà médaillé, héroïque… puis la mémoire des subalternes m'a attaqué et a effacé toute complaisance.
Vous m’octroyez aujourd’hui le privilège d’évoquer «mon» courage d’être moi après m’avoir fait porter le fardeau de l’exclusion et de la honte pendant toute mon enfance. Vous venez m’offrir ce privilège comme vous donneriez un petit verre à un malade souffrant de cirrhose, tout en niant mes droits fondamentaux, au nom de la nature et de la nation, tout en confisquant mes cellules et mes organes pour votre gestion politique délirante. Vous m’accordez ce courage comme on laisserait quelques jetons de casino à un addict au jeu, tout en continuant de refuser de m’appeler par un nom masculin, ou d’accorder mon nom avec des adjectifs non féminins, tout simplement parce que je n’ai ni les documents officiels nécessaires ni la barbe.
Vous nous réunissez ici comme un groupe d’esclaves qui ont su allonger leurs chaînes, mais qui restent toujours plus au moins coopérants, qui ont obtenu leurs diplômes et qui acceptent de parler le langage des maîtres : nous sommes là, devant vous, tous des corps assignés femmes à la naissance, Catherine Millet, Cécile Guibert, Hélène Cixous, des salopes, des bisexuelles, des femmes à la voix rauque, des Algériennes, des juives, des