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Libération

La révolution culturelle française

publié le 16 janvier 2015 à 17h36

Les Français ne sont pas ce que l’on croit. Sur ce schéma classique, Robin Rivaton vient d’écrire un livre original et utile. Proche d’Alain Juppé, conseiller auprès de quelques PDG, Rivaton est un jeune «libéral réaliste» qui prépare, avec son nouveau mentor, les mesures qu’une droite ouverte revenue au pouvoir pourrait mettre en œuvre. On ne suivra pas ses conclusions franchement libérales. Mais on lira son diagnostic avec attention : il donne du pays une vision neuve et quelque peu réconfortante ; il sera utile à la gauche autant qu’à la droite.

Jusqu’ici la cause était entendue : vieux pays perclus de tradition étatiques, de réglementations, de préjugés hostiles à l’entreprise, la France était une nation retardataire, antimarché, qui se calfeutrait devant les défis du futur et ne voyait dans la mondialisation qu’une menace sociale et culturelle. Tout un discours déprimant et masochiste occupait en conséquence la scène publique, donnant de notre avenir une vision sinistre, fustigeant ce peuple rigide et passéiste, brodant sans fin sur le déclin français, l’abaissement de l’économie, le recul national. L’essai de Rivaton, c’est sa grande vertu, prend tout cela à contre-pied. Fondé sur une interprétation serrée et inédite des enquêtes d’opinion et des données sociologiques, il montre qu’au rebours des Cassandre neurasthéniques, le peuple français s’est adapté en profondeur à la nouvelle donne. Il travaille autant que les autres, il adopte les codes et les innovations de la technologie, il figure à la douzième place des nations les plus ouvertes à la mondialisation, loin devant les Etats-Unis, il part volontiers à l’étranger à la conquête de la réussite ou du dépaysement, il plébiscite les valeurs d’entreprise, l’initiative, la créativité, l’énergie industrielle ou commerciale. Il accepte le principe de la réforme, veut un Etat moins obèse et plus efficace, approuve la solidarité mais rejette l’assistanat, reste égalitaire mais admet - et admire - la réussite des créateurs d’entreprise. Une entreprise publique comme la Poste, remarque Rivaton, syndicalisée et fonctionnarisée à souhait, s’est totalement transformée en quelques années, comme en témoigne la révolution du quotidien que constitue l’ordonnancement nouveau des antiques bureaux, qui symbolisaient naguère la culture du guichet rébarbatif et du postier revêche, pour se transformer en lieux d’accueil ouverts, conviviaux, tournés vers la satisfaction non de l’usager mais du client. En d’autres termes, cette France soi-disant fermée est mûre pour l’ouverture, l’offensive et la réforme.

Robin Rivaton en déduit, bien sûr, que l’heure de la droite libérale est arrivée. Un libéralisme tempéré, réaliste, adapté à la culture républicaine de l’ancienne nation, tel qu’Alain Juppé, figure à la fois raide et pragmatique, respectée dans l’opposition et aussi à gauche, peut l’incarner dans le futur débat présidentiel. Pourtant, la leçon n’est pas confinée aux limites de la droite classique. Elle vaut pour la gauche. Mutatis mutandis, les mêmes glissements culturels s’observent dans sa base sociologique. Les fonctionnaires acceptent, en fait, la réforme de l’Etat. Le fiscalisme n’est guère populaire, même si chacun tient au principe de l’impôt pour financer les dépenses collectives. Les syndicats les plus réformistes, la CFDT en tête, progressent aux élections professionnelles, à l’inverse de la CGT. L’opinion de gauche a elle aussi, en grande majorité, une vision positive de l’entreprise. Malgré l’opprobre où l’on tient encore la gauche au pouvoir, l’extrême gauche stagne et des sociaux-libéraux assumés, comme Manuel Valls ou Emmanuel Macron, tirent mieux que d’autres leur épingle du jeu des sondages de popularité. La gauche aussi accepte la mondialisation, intègre les principes de l’économie de marché, valorise les entrepreneurs, qu’elle distingue soigneusement des spéculateurs de la finance. Contrairement à ce que suggère Rivaton, cette ouverture nouvelle au monde ne favorise par automatiquement la droite libérale. Personne ne souhaite la dictature des marchés, la brutalité de la concurrence sans frein, l’effacement de l’Etat ou la libéralisation soudaine du marché du travail. Les valeurs de la République sociale sont bien vivantes. Une gauche du nouveau siècle peut, elle aussi, s’appuyer sur la révolution culturelle française.