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Libération

De la nature criminelle de l’homme

publié le 13 février 2015 à 17h16

Et si la principale cause du terrorisme islamiste n’était pas la discrimination et la misère comme le prétendent nombre d’intellectuels et de journalistes de gauche (1) mais la fascination du meurtre. Peut-être ne devrions-nous pas répéter les mêmes erreurs qui nous ont poussés à expliquer pourquoi tant d’Allemands ont basculé dans le nazisme. On a aussi prétendu que cette idéologie plongeait ses racines dans le chômage, l’inflation et l’humiliation du peuple allemand à la suite du traité de Versailles. Mais le désir de tuer son prochain n’est ni le propre d’une religion, comme il est à la mode de le dire aujourd’hui, ni d’un peuple, mais de cette affreuse espèce à laquelle nous appartenons tous : l’humanité. La principale fonction des idéologies criminelles est de justifier ces pulsions destructrices, non de les provoquer - comme beaucoup de gens le prétendent.

En effet, nous entendons que des jeunes seraient séduits et embrigadés par des gens malveillants qui les poussent à tuer au nom d’Allah ? Ne disait-on pas la même chose des Allemands qui auraient été séduits par l’art oratoire et les manigances de Hitler ?

Certes, sans ces idéologies, les assassins ne seraient pas passés à l’acte, ce qui montre toute leur importance. Mais ce ne sont pas elles qui sont à l’origine du plaisir de tuer. Si l’on refuse de voir ces pulsions chez les terroristes, c’est parce qu’on craint de se reconnaître en eux. Nombre de ceux qui les condamnent savent ou soupçonnent qu’ils se mettraient eux aussi à tuer si l’occasion politique et le cadre idéologique se présentaient. N’est-ce pas ce que tant d’individus ont fait en France sous l’occupation allemande ou bien ailleurs en Europe sous les régimes communistes ?

Parce que sans aller jusqu’au meurtre, nous sommes, tous, taraudés par des pulsions qui visent à détruire moralement, à humilier à exploiter nos semblables. Combien de fois avons-nous ressenti qu’entre les violences civilisées, que nous subissons chaque jour et les assassinats ordinaires ou politiques, il y avait une différence non de nature, mais de degré ? Et c’est sans doute là que réside la principale raison des troubles et tergiversations que provoquent les grands crimes comme ceux que nous avons vécus il y a un mois. Ils nous plongent au plus noir de nous-mêmes, ils nous montrent ce que nous ne voulons pas voir. Notre culture a pris la triste habitude de ne pas accepter la nature criminelle de l’humanité. Elle a toujours haï ceux qui, comme le marquis de Sade, ont cherché à lui montrer cette terrible vérité. Et nous ne cessons de prêcher que nous sommes bons, que seule une petite minorité serait mauvaise et que nous pouvons aimer notre prochain comme nous-mêmes.

Pourquoi rappeler de telles évidences ? Pour ne pas faire de diagnostics erronés et graves sur ce qui se passe actuellement. Et cesser d’affirmer, par exemple, que c’est le chômage ou la discrimination qui pousse certains à devenir terroristes. Ainsi, nous ne mettrions pas en accusation toute une religion ou une «race» à partir du comportement de quelques-uns.

Rappeler la nature criminelle de l’humanité est une façon de ne pas libérer nos propres pulsions destructrices. Souvent, il arrive que les sanctions mises en place par une société pour punir des actes horribles fonctionnent comme les idéologies criminelles elles-mêmes : elles permettent de justifier la violence de ceux qui se sentent offensés par leurs offenseurs.

Même si nous l’avons oublié, ou si nous ne le répétons jamais assez, le régime démocratique présente justement l’avantage de ne pas laisser une espèce aussi criminelle que la nôtre donner totalement libre cours à sa violence destructrice. Un tel régime n’a pas besoin de supposer que les individus qui y adhèrent et y jouissent de ses avantages sont bons. Montesquieu écrivait que ce système pouvait fonctionner même avec un peuple de démons.