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Libération

Le mensonge des scènes politiques

publié le 24 février 2015 à 19h26

Il y a, bien sûr, le rejet de l’immigration, la peur de l’islam et cette perte des repères et cadres politiques connus qu’induisent tout à la fois la mondialisation de l’économie et la prééminence croissante de l’Union européenne sur les Etats nations. Ce sont les causes les plus évidentes du développement des nouvelles extrêmes droites en Europe et, tout particulièrement, du Front national en France - mais la première raison de leur progression est le mensonge d’échiquiers politiques devenus totalement obsolètes.

Là encore, la France en est le meilleur exemple. En France, un grand parti de droite, l’UMP, réunit une petite frange libérale d’inspiration thatchérienne, un centre droit attaché à l’approfondissement politique de l’Union et au maintien du modèle européen de protection sociale et tout le camaïeu des droites traditionaliste ou réactionnaire proches de l’extrême droite.

Cette improbable coexistence, ce fourre-tout, est l’héritage des temps où le prestige du général de Gaulle lui avait permis de s’appuyer sur la menace soviétique et l’obligation de discrétion des droites pétainistes pour transcender les intérêts de classe et affirmer la France sur la scène internationale. C’était une tout autre époque, mais l’anachronisme n’est pas moindre à gauche.

Parce qu’elle et née de la Révolution de 1789, la gauche française n’a jamais osé rompre avec la mythologie des barricades et moins encore opter pour la social-démocratie qui n’est pas la conversion de la gauche au libéralisme mais la permanente construction de rapports de forces permettant d’imposer des progrès sociaux fondés sur le compromis. C’est la raison pour laquelle le Parti socialiste fait toujours coexister une pratique social-démocrate et des courants proches de l’extrême gauche pour lesquels tout compromis politique et tout aggiornamento social relèvent de la trahison de classe.

Le résultat de ces deux anachronismes est que la vie politique française n’est qu’un théâtre de fausses oppositions paralysantes. Alors même qu’est si patente la convergence d’approches entre une social-démocratie inassumée et un centre droit sans autonomie, ce sont de faux partis continuant à brandir les gestes révolutionnaire et gaullienne qui continuent de bloquer l’échiquier dans des temps qui ne sont plus.

Il est ainsi facile à Mme Le Pen de prétendre incarner un renouveau et de se poser en alternative alors que son parti puise à la fois dans la mythification des Trente Glorieuses et la nostalgie des clochers, l'étatisme et le libéralisme, le traditionalisme puritain et la libéralisation des mœurs - dans un tout et n'importe quoi autrement plus grands encore que ceux du PS et de l'UMP. C'est parce que l'échiquier français ment et que ce mensonge est flagrant que le Front national devient aussi fort - il suffit, pour s'en convaincre, de regarder l'Italie.

A Rome, le Mouvement Cinq Etoiles de Beppe Grillo avait pu sembler aussi irrésistible que le FN. Crachant sur les grands partis et relayant tous les mécontentements à la fois, c’était la nouvelle force, les vraies gens, le vrai peuple, jusqu’à ce qu’un ancien démocrate-chrétien de moins de 40 ans ne prenne les commandes du Parti démocrate, de la social-démocratie italienne et ne se hisse à la présidence du Conseil sur un programme résolument réformiste.

On peut aimer ou pas la politique de Matteo Renzi, mais le fait est qu’il dit ce qu’il pense, fait ce qu’il dit et qu’à la tête d’une coalition des centres qui avait pu paraître aussi inimaginable qu’en France, il donne une cure de jouvence à un pays en train de renvoyer Beppe Grillo aux limbes dont il n’aurait jamais dû sortir. Quand la politique cesse de mentir, l’heure de la déroute sonne pour les démagogues et regardons, maintenant, la Grèce et l’ensemble de l’Union.

Car qu’est-ce qui a fait la victoire d’Aléxis Tsípras et de son parti si ce n’est le réalisme et le courage politiques ? Fruit d’un rassemblement des extrêmes gauches, Syriza aurait pu s’en tenir à une dénonciation de l’Union européenne comme bras armé du libéralisme mais, après que ses débats internes l’eurent amené à la conclusion qu’il serait suicidaire de vouloir sortir de l’euro, ce parti l’a emporté sur une promesse de redéfinition des voies des désendettements grec et européen.

Syriza s'est cherché des alliés dans la droite grecque et des soutiens dans la social-démocratie européenne qui, tout autant qu'elle, voudrait sortir de ce que Felipe Gonzalez appelle désormais l'«austéricide». Ce parti apprend le compromis social-démocrate à la vitesse qu'impose l'urgence grecque et plus rien d'essentiel pourrait ne plus le séparer un jour de la coalition droite-gauche qui pilote la nouvelle Commission sur un programme de conciliation des nécessités de rigueur budgétaire et de relance par l'investissement. Si cette ligne l'emportait dans l'Union, c'en serait vite fini des nouvelles extrêmes droites.