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Libération

Que faire des haineux ?

publié le 13 mars 2015 à 18h26

Notre culture psy nous apprend que pour aller mieux, il faut exprimer ce qui nous tourmente. Parler serait un antidote à tout le mal que nous faisons aux autres et à nous-mêmes. Se taire nous pousserait à «répéter» des situations douloureuses et des «passages à l’acte» violents. Et que dire de l’hostilité que suscitent de nos jours les vérités tues ? Les secrets viennent aussi de cet héritage où nous devions nous taire pour garder la bienséance. C’est donc en parlant que nous pouvons devenir maîtres de notre destin et rendre plus agréable celui de nos proches. Voilà ce que l’on nous suggère quand nous allons chez le médecin, ou que nous voyons des amis, quand nous allumons la télévision, ou écoutons la radio.

Paradoxalement, c’est dans ce monde que de plus en plus de voix s’élèvent pour réprimer des gens exprimant des propos haineux envers les minorités. Le gouvernement projette de retirer ces infractions de la loi sur la liberté de la presse de 1881, afin de les traiter comme des délits de droit commun. Ceux et celles qui haïssent les minorités devront «se taire» s’ils ne veulent pas faire de longs séjours en prison à côté des assassins et des violeurs. Mais ces réformateurs ne disent pas ce qui adviendra de cette haine retenue, tue, mise sous silence. Ils se contentent d’affirmer que si l’on interdit aux haineux de parler, ils ne passeront pas au stade suivant, celui de l’acte violent.

Au lieu de punir et d’envoyer ces gens dans des prisons, où les détenus prêchent la haine plus que partout ailleurs, il faudrait inventer un dispositif plus astucieux. Ceux qui expriment ce type de propos devraient être contraints, par un juge, à suivre des stages civiques intensifs : ils auraient alors l’occasion de parler de leur haine, et de discuter avec des personnes compétentes. Ils seraient obligés de lire des livres, de regarder des films, et d’en discuter avec des gens qui haïssent d’autres minorités qu’eux. S’ils récidivent à la fin de ce stage, ils seraient forcés d’en faire un nouveau.

Un tel système permettrait aux haineux de changer d’avis, mais aussi à la collectivité de mieux les connaître. Et si l’organisation de tels stages a un coût - tout en imaginant que grand nombre d’intellectuels donneraient de leur temps, et de leurs compétences bénévolement - cela sera toujours moins onéreux que d’envoyer les haineux en prison. Plus joyeux, et plus instructif aussi.

Et que dire des énergies humaines formidables qui pourraient éclore face à cet amoindrissement de la haine ? La haine kidnappe les puissances créatrices de ceux qui l’éprouvent.

Certains pourraient affirmer qu’un tel système est contraire à la liberté d’expression : il l’est beaucoup moins que si l’on applique à ces mauvais parleurs des peines de prison fermes. Plutôt que la répression, la tradition démocratique, la plus classique, a toujours défendu davantage de parole et de discussion pour lutter contre les idées néfastes.

Certes, tous les haineux ne sont pas victimes de leur pauvreté culturelle et relationnelle. Il existe de véritables entrepreneurs qui s’enrichissent ou gagnent du pouvoir grâce à leur prêche. Seule une minorité vit de l’ignorance et de la misère intellectuelle, morale et spirituelle de la majorité des haineux.

Un tel dispositif permettrait de s’éloigner de l’autoritarisme inefficace de nos lois - que l’on cherche bêtement à alourdir - et du libéralisme à l’américaine - qui laisse les haineux pourrir dans leur solitude et leur ignorance.

Une telle réforme s’appuierait sur un présupposé sage et sensé : nous ne sommes maîtres ni de nos sentiments ni de nos idées. Ainsi, haïr ne signifie pas être en faute, mais plutôt avoir un sérieux problème.