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Libération

Marion après Marine ? La double peine Le Pen

publié le 30 mars 2015 à 17h16

La seule question qui vaille après ces départementales fatales, c’est de savoir qui, de Marine ou de Marion, fera blondir la République, bondir les antifascistes et blêmir les gens de gauche livrés pieds et poings liés à leurs remords.

Ce mardi, j’en suis rendu à me demander qui l’emportera de la tata populiste ou de la nièce tradi, puisque ce pays semble avoir choisi la famille Le Pen, avec en prime le chamboule-tout xénophobe, le désastre régressif et l’étripage des élites en place publique. Avant que cette évidence ne me frappe de plein fouet, j’en étais encore à me poser deux questions périmées.

1) Je m'interrogeais sur la stratégie du Front républicain en cas de duel FN-UMP. Et je répondais qu'il ne fallait pas compter sur moi pour adouber le droitier Sarko, que j'avais déjà assez à faire avec le Valls droitisé et que cette histoire d'UMPS était la plus belle validation qui soit de la thèse du «tous les mêmes, tous pourris» et tutti quanti. In petto, je me promettais quand même de bien regarder les sondages avant de m'abstenir.

2) Je me demandais aussi si je n'avais pas été trop négligent avec le FN, si je n'avais pas sous-estimé son potentiel. Je suis d'autant plus opposé à sa diabolisation que je pense que le bon Dieu n'existe pas. Je crois que le cordon sanitaire, que certaines belles âmes recommandent de déployer entre les bien portants gentiment éduqués et les malades à la vulgarité contagieuse, témoigne d'une philosophie de caste et d'un mépris de classe. J'ai longtemps cru que la nocivité rance des thèses frontistes percuterait le mur de la réalité, et que le sucre glace de l'acceptation démocratique engluerait le ressentiment aigre dans la confiture sociale. Alors que le FN commence à se saisir des commandes territoriales, je me demande si je n'ai pas joué à l'apprenti-sorcier. Mais sinon quoi ? Continuer à manier l'anathème ? Persister à croire qu'il y a les raisonnables d'un côté et les abrutis de l'autre ? On voit où ça nous mène.

Ça nous mène à nous soucier d’une succession dynastique, à grimper à l’arbre d’une généalogie assez feuillue et à nous infuser en purge une saga familiale dont les ressorts (mère des filles Le Pen posant nue, «trahison» d’une sœur de Marine, père naturel de Marion) sont d’un croustillant achevé.

L'héritage du fonds de commerce. On a longtemps cru qu'il fallait que le chef de la horde primitive meure pour que le fonds de commerce prospère et que la descendance rafle la mise. La mémoire flanchant, Jean-Marie, tribunicien qui a tout fait pour ne pas exercer le pouvoir, pourrait voir y parvenir des générations plus pragmatiques. Les moins de 30 ans qui votent trop souvent pour le FN quand ils consentent à se rendre aux urnes, se fichent comme d'une guigne de la collaboration pétainiste ou des guerres coloniales. Pour eux, l'Europe et les marchés financiers bouchent autant l'horizon du travail national que le képi de De Gaulle cachait le ciel bleu des libertés aux soixante-huitards. Et comme Marine et Marion ont liquidé l'antisémitisme de Jean-Marie, il ne reste que la stigmatisation des Arabes, chose du monde la mieux partagée quand elle se troue d'islamisme à balles réelles.

Le saut de génération. Les 25 ans de Marion cachent un conservatisme revêche. Mariée et déjà mère d'une fillette prénommée Olympe, la jeune femme s'en prend au mariage pour tous ou à l'avortement, avec une opiniâtreté bien plus structurée que chez Marine. Tout cela se serait mis en place à l'institution Saint-Pie-X où Marion fit ses classes en tenue bleue. Question mœurs, cette catholique convaincue, qui processionne jusqu'à la cathédrale de Chartres, serait plus en phase avec son grand-père qu'avec sa tante. Evitons malgré tout de présenter cette dernière comme une libertaire hypergender.

La guerre des blondes. Est-ce que cela signifie qu'il y a une demande d'ordre régressif et de retour aux valeurs versaillaises ? Je pense plutôt que la prestance en jean et la réserve gentrifiée de Marion dissimulent son corpus idéologique. Et que les libidos numériques et les attendrissements seniors consomment du physique avenant, de la précocité jamais vue et du phrasé modernisé, quand Jean-Marie fait vieillard au plus-que-parfait et quand Marine graillonne en poissonnière.

Dans la guerre des blondes qui finira par arriver, en Machiavel au petit pied, je pousserais volontiers la cause de Marion. Elle est conservatrice sur les mœurs, libérale économiquement, croyante affichée. Tout cela l’extrémise et devrait la handicaper. Marine se veut ni droite ni gauche et plus protectrice. Cela lui donne un potentiel plus attrape-tout, plus dangereux électoralement.

Si Marion finissait par déborder Marine et kidnapper Marianne, ce serait qu’une fois encore, j’aurais mal évalué l’état des lieux d’une France ultraréac.