Je vais éviter de vous parler d’anorexie. D’abord, parce que je n’y connais rien, ce qui d’habitude ne m’empêche pas de l’ouvrir à tort et à travers. Mais surtout parce qu’on est là dans l’ordre du pathologique qu’il convient d’approcher sur des pattes de colombe.
Le législateur, lui aussi, devrait s’épargner ce genre d’incursions brutalistes dans des domaines médicaux où l’on aimerait être dispensé du piétinement de ses gros sabots normatifs.
En matière de troubles alimentaires, sanctionner la propagande numérique famélique et cibler un monde de la mode qui saura montrer les dents ne changera rien à la bravade destroy des adolescentes et à la douleur des entourages nourriciers.
L’étonnant, c’est qu’à chaque fois, ce sont mes amis socialos qui tiennent à régenter les corps déviants. Oh, c’est évidemment pour d’excellentes raisons ! Ils œuvrent pour le bien de l’humanité ou s’intronisent chevaliers blancs en mission rééducative. Alors qu’ils ont renoncé à restaurer l’égalité économique, ils restreignent les libertés d’user de soi à sa guise. Remarquez que c’est au nom d’un certain féminisme qu’ils renvoient une fois encore les femmes à leurs corps contraints. Ils veulent interdire à celles-ci de s’affamer, de se prostituer ou de se voiler.
En matière d’anorexie, la gauche devrait se contenter d’augmenter les moyens du suivi psychiatrique. Et pourquoi ne pas le financer en taxant le monde du luxe au lieu de baisser les impôts des plus dodus ? Question prostitution, la gauche devrait se contenter de lutter contre la traite des êtres humains. Et pourquoi ne pas ouvrir des bordels d’Etat après validation du volontariat des travailleurs sexuels ? Côté voile, la gauche devrait se contenter de surveiller les dérives jihadistes des radicalisées. Et pourquoi ne pas laisser les croyantes faire carnaval dans la rue ou à l’université tant qu’elles sont majeures et vaccinées contre la remise en cause de la mixité laïque à l’hôpital, à la piscine, etc. ?
En fait, c’était des mannequins dont je voulais vous parler. Voyez par quels biais il me faut passer pour y arriver… Je réalise que cet univers m’intéresse moins qu’il n’a pu le faire. J’ai dû rester bloqué au stade fatal des supers modèles des années 80. Je dois regretter ces émancipées assez avides, ces voleuses d’attention qui se fabriquaient un destin, ces puissances dominantes qui rayonnaient façon solarium. Ces gagneuses à talons hauts aiguillaient des cinglons de leur bon plaisir les donneurs d’ordre du business comme les petits maîtres de couture.
J’ai l’impression que, depuis ce putsch en Skaï, les marques ont repris le pouvoir. Les filles d’aujourd’hui ont le portemanteau braqué sur la tempe. Il ne faut pas trop qu’elles existent au risque de kidnapper la notoriété du logo. Visibilité instantanée, date de péremption déjà dépassée. De ce tourniquet de la chance, on se fait toujours éjecter. Ce printemps, la place de Paris voulait du freak à gueule cassée, du monstre de salon, de l’albinos dépigmentée, de la Ménine naine de Vélasquez montée sur jambes de girafe. A l’automne, on reviendra aux petites filles modèles, aux blonds minois faciles comme ceux de Constance Jablonski ou de Charlotte Di Calypso. Et le carrousel de l’obsolescence les emportera, tandis que je ne saurai toujours pas qui est qui.
Pendant ce temps, attendri et ricanant, je regarde vieillir les pétroleuses d'antan. Inès de La Fressange maquignonne ses filles avec esprit. Carla Bruni continue à nurser le président de l'UMP. Estelle Lefébure nage nue à Saint-Barth pour vendre une méthode de développement personnel qui la fera regretter par un fils de rocker national et un optimiste fiscal télévisé. Adriana Karembeu déserte la Croix-Rouge pour faire flic sur les falaises d'Etretat, le samedi soir pour France 3. Heureusement, Naomi Campbell est toujours griffue, qui se serait crêpé le chignon avec Cara Delevingne. Cette gredine aux noirs sourcils est la seule néodiva repérable. Elle a 22 ans, des lettres de noblesse anglaise, le sens de la promo 2.0, du goût pour la junk food et pour celles de son sexe. Tout cela ne pouvait qu'ulcérer dame Naomi qu'est déjà pas très bonne fille. L'ultimate fight se serait passé chez Castel, sur une moquette décorée de phallus à piétiner.
Je vous entends déjà moquer ma nostalgie andropausée. En tout cas, si mon goût des tailles fines à la silhouette amphibie prend toujours le pas sur mon appétit pour les dames tartines, l’objet de ma concupiscence a pris de l’âge. Cela devrait me permettre d’échapper au procès en pédophilie qu’on fait aux barbons que fascinent celles qui ont l’âge d’être leurs filles.
Et dire que dans le même temps, on salue la vitalité des cougars dévoreuses de jeunots comme un progrès paritaire…