C’est triste qu’un homme se suicide. Triste comme une défaite. Ainsi, le premier réflexe est de chercher d’autres coupables que celui qui s’est porté le coup fatal. Et des coupables, il y en a toujours. Durkheim n’avait-il pas écrit que la société tue chaque année un contingent de personnes (les suicidés) dont le chiffre est relativement stable d’un pays à l’autre ? Nous participerions donc à notre insu, chacun à notre manière, à ce «complot» sanglant qui pousse tant de malheureux à s’extraire du monde des vivants. Pour autant, on ne peut prétendre qu’un homme politique, comme Jean Germain, se soit donné la mort par la simple faute des journalistes qui ont rendu compte de son procès dans l’affaire des «mariages chinois».
Affirmer que sa mort est la conséquence de «la chasse systématique aux hommes politiques» relève de l’escroquerie intellectuelle, de l’attaque démocratique. Si presse et justice n’enquêtaient pas sur des affaires louches, on ferait partie d’une république bananière. Si elles n’étaient pas en mesure de remettre en cause l’intégrité de la classe politique, celle-ci représenterait une vraie clique de voleurs, de violeurs et d’assassins. Certains pensent que les soupçons généralisés envers les politiques conduisent à l’élection d’un parti autoritaire et populiste : ils font preuve de mauvaise foi. Une minorité de citoyens tire ce genre de conclusions stupides, mais d’autres questions sont en jeu pour une immense majorité.
D’abord, davantage de transparence dans la vie politique : c’est le but le plus concret et immédiat. Ensuite - et cela représente peut-être le principal enjeu des luttes citoyennes à venir - repenser la fonction même des représentants du peuple dans nos démocraties. Les «soupçons» envers ces représentants dépassent les manœuvres frauduleuses auxquelles ils sont capables de se livrer pour s’enrichir ou conserver le pouvoir. Ils expriment, avant tout, un malaise par rapport au lien politique tissé avec le peuple. Un peuple fatigué de peser aussi peu dans les décisions, de voir que les marges de manœuvre sont aussi réduites, d’entendre que l’on parle toujours en son nom comme s’il était absent, ou mort, ou incapable de s’exprimer par lui-même.
La mise en place d’un nouveau régime de représentation ne pourra balayer entièrement ce malaise. Le simple fait de prendre des décisions au nom des autres sera toujours problématique. En revanche, avoir cette impression n’a rien de négatif. Bien au contraire. Non seulement parce que les formes actuelles de représentation sont perfectibles, mais aussi parce qu’il est bon de ressentir la politique comme une émotion. Ceux et celles qui ne supportent pas d’être critiqués, moqués, suspectés, traînés dans la boue comme des malpropres, même à tort, ne devraient pas s’engager en politique. Ceux qui cherchent à être libres de tout soupçon, à être admirés, reconnus et aimés de tous, devraient se consacrer à d’autres métiers moins risqués - ou même n’en pratiquer aucun. Certes, l’arène de la vie publique est difficilement supportable, et pas uniquement pour les politiques. Artistes, intellectuels, scientifiques, et tous ceux qui s’y aventurent peuvent représenter l’objet de critiques les plus sanglantes d’une démocratie. Mais, si elles peuvent en blesser certains, elles restent utiles pour la collectivité, parce qu’elles permettent de faire des choix et qu’elles offrent des outils pour critiquer et analyser les idées, les faits, les œuvres. Sans compter que ceux et celles qui s’aventurent dans l’espace public savent très bien que les critiques et les soupçons ne se fixent pas sur eux-mêmes, mais sur un personnage qui ne leur ressemble guère.
Et ce n’est de la faute d’aucun journaliste si un politique, expérimenté mais déprimé, confond brutalement ce personnage avec sa propre personne. Et s’il pense qu’il mérite d’être mort.