C'est un rôle essentiel que la France pourrait désormais jouer au Proche-Orient. Elle aurait toutes les cartes pour le faire car, en admettant que le compromis sur le nucléaire iranien ne vole pas en éclats, dans l'hypothèse, non pas certaine mais probable, où il se concrétiserait au contraire, chiites et sunnites auront alors à chercher les voies d'un modus vivendi régional et, donc, un médiateur de confiance que les Etats-Unis pourraient difficilement être.
Les régimes sunnites et leur chef de file, l’Arabie Saoudite, ne voudraient pas d’eux parce qu’ils leur reprochent non seulement d’avoir laissé renverser Hosni Moubarak, d’avoir trahi cet allié égyptien qui était l’un des leurs, mais d’avoir également refusé de s’engager contre le vassal de l’Iran qu’est Bachar al-Assad avant d’aller, pire encore, conclure un compromis avec la République islamique qui ne pourra, c’est vrai, que la renforcer.
Aux yeux des sunnites, l’Amérique n’est plus la puissance sur laquelle ils peuvent tout miser. Elle reste un allié, mais un incertain allié, et les Iraniens, de leur côté, n’en sont pas à vouloir faire d’elle leur unique partenaire. Devenue suspecte à Riyad, l’Amérique le demeure à Téhéran alors que la France dispose, elle, de vrais atouts dans ces deux capitales.
Ce n’est pas que les Iraniens ne lui en veuillent pas d’être la plus sourcilleuse des grandes puissances sur le moindre détail de l’accord nucléaire. Entre Paris et Téhéran, ce contentieux est profond mais, outre que les Français peuvent faire valoir à l’Iran que c’est eux qui ont ainsi rendu cet accord crédible, les Iraniens ont besoin de l’Europe pour éviter un tête-à-tête avec les Etats-Unis.
Ils ont, autrement dit, besoin de la France sans laquelle ils ne pourraient rien faire de sérieux avec l’Union et, pour ce qui est des Saoudiens, les Iraniens ne trouvent plus que des qualités à la France. C’est elle qui est la plus ferme contre le régime syrien auquel ils ne pardonnent pas d’avoir laissé l’Iran pénétrer jusqu’au cœur du Proche-Orient. C’est elle qui arme le Liban - avec leur argent d’ailleurs - pour y faire contrepoids au Hezbollah, l’organisation politico-militaire chiite qu’y soutient l’Iran.
C’est la France qui vient de réarmer l’Egypte, en lui vendant des Rafale dont ils règlent, aussi, la note. C’est elle, encore, qui aide l’Afrique à résister aux poussées jihadistes et sans elle, surtout, les Saoudiens auraient sans doute eu plus de raisons encore de s’inquiéter du compromis nucléaire voulu par les Etats-Unis.
Les Français sont, en un mot, si bien vus à Riyad que ce sera, paradoxalement, la meilleure de leurs cartes à Téhéran le jour où les Iraniens chercheront à définir un équilibre régional avec les sunnites, et ce jour viendra, peut-être plus vite qu’on ne le croit.
Sauf échec de dernière minute sur le nucléaire, il viendra parce qu’il y a une dynamique de changement en Iran, que les plus pragmatiques du régime devraient y marquer des points aux législatives de 2016 et que, même si la levée des sanctions économiques vient renflouer ses caisses, ce pays ne pourra pas éternellement entretenir tant de fronts militaires à la fois. Sous peine de s’essouffler, il ne pourra pas durablement continuer à financer à la fois le Hezbollah et le régime syrien, l’insurrection des Houthis yéménites et les milices chiites en Irak. Ce régime devra bien plutôt redonner un peu de pouvoir d’achat aux Iraniens, et consolider ses avancées régionales en trouvant des compromis politiques durables entre chiites et sunnites du Yémen et du Liban, d’Irak et de Syrie.
Cela devra forcément passer par la recherche d’un grand deal avec l’Arabie Saoudite par lequel l’Iran mettrait fin à son entreprise de déstabilisation régionale en échange du respect de la place conquise par les chiites là où ils sont minoritaires, et de leur prééminence en Irak, où ils sont majoritaires. Cela devrait passer par de nouveaux arrangements constitutionnels en Irak et au Liban, un partage du pouvoir au Yémen, une éviction d’Assad en Syrie, et la fédéralisation de ce pays.
Cela devrait passer par de longues négociations. Il faudra les préparer par de discrets contacts secrets, et c’est là que la France pourrait jouer un rôle d’autant plus grand qu’elle a des liens étroits, d’anciennes amitiés ou les deux avec les sunnites et les chrétiens du Liban, les sunnites et les Kurdes irakiens et, bien sûr, la majorité sunnite de Syrie dont elle soutient l’insurrection.
Au-delà même de ces bons offices, la France pourrait explorer l’idée d’une conférence pour la sécurité et la coopération au Proche-Orient, sur le modèle de celle qui avait débouché, en Europe, sur les accords d’Helsinki. La méfiance n’était alors pas moins grande entre Soviétiques et Occidentaux qu’elle ne l’est entre les deux grandes religions de l’islam et leurs chefs de file respectifs. Ce qui avait été possible en Europe pourrait l’être au Proche-Orient.