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Libération

FN, ce qu’on ne vous dit pas

publié le 24 avril 2015 à 17h56

Depuis que Marine Le Pen a pris les rênes du Front national, on a beaucoup de mal à lier ce parti à l'univers composite du fascisme. On préfère qualifier son projet politique de «populisme» ou de «populisme national», l'expurgeant ainsi des pires vices des régimes et autres politiques criminelles du XXe siècle. La récente «rupture» de Marine avec le chef de la trinité frontiste - due aux «provocations» langagières «inutiles» de ce dernier - a accentué cette interprétation bienveillante. Emancipé de la tutelle de l'ancien tortionnaire, le Front national serait devenu un parti acceptable, dont certains choix radicaux feraient la différence, notamment au regard de l'Europe.

Certes, on ne cesse d'invoquer d'autres projets inquiétants : l'instauration de la peine de mort, l'intolérance par rapport à la religion musulmane, la fermeture des frontières à l'immigration. Et pourtant, aussi affreuses et désastreuses soient-elles, ces mesures ne compromettent en rien l'idée démocratique. Il en est cependant une, au cœur du projet du parti, et dont on parle, hélas, beaucoup moins, qui la compromet franchement. Il s'agit de la «priorité nationale». C'est le nouveau nom que le Front a donné pour institutionnaliser les inégalités entre les habitants d'un même pays et, a fortiori, entre les citoyens. Les personnes ayant la nationalité française devraient, ainsi, être prioritaires pour les emplois, alors que les étrangers ne devraient pas jouir de prestations sociales. Et le Front prône l'abolition du droit du sol, au bénéfice du droit du sang.

En mettant en place une telle politique de la nationalité, on réintégrerait certaines règles déjà accordées sous le régime du maréchal Pétain. Des millions de personnes devenues françaises en vertu du droit du sol, mais qualifiées d’indésirables parce qu’issues de l’immigration, viendraient composer cette armée de citoyens de seconde zone ou de colonisés de l’intérieur. D’une part, il y aurait une caste de Français de «souche» ; de l’autre, celle composée d’étrangers et de personnes à qui l’on aurait retiré la nationalité et tous les privilèges attachés à ce statut. Et si ces étrangers, réels ou de papier (car c’est ainsi que l’on pourrait appeler les dénationalisés nés en France), ne sont pas contents, ils n’ont qu’à quitter le pays, même s’ils n’ont aucun endroit où aller. Ce projet suffit pour compromettre le caractère démocratique du parti de la famille Le Pen. Il n’est pas nécessaire d’invoquer ses théories paranoïaques par rapport à l’islam, car elles représenteront l’un des arguments invoqués pour refonder le droit de la nationalité. Les musulmans ne sont-ils pas issus d’une immigration antinationale, instaurée par les affreux partis du système ?

Ce déni d’égalité lie le projet frontiste aussi bien aux régimes fascistes (nazisme, fascisme italien, apartheid d’Afrique du Sud) qu’aux politiques racistes menées par certains pays démocratiques (la ségrégation des Noirs aux Etats-Unis, le colonialisme européen). Les politiques de la nationalité prônées par le Front donneraient, effectivement, lieu à un régime d’apartheid en France. Dans l’histoire des démocraties occidentales, un long processus a été nécessaire pour accéder à l’égalité des groupes jusqu’alors exclus - les femmes, les minorités ethniques, les homosexuels. Fidèle à son héritage, le frontisme, lui, prône la construction de nouvelles inégalités, malgré le renforcement de celles préexistantes.

Il est bien dommage que les médias, pourtant si friands de Marine Le Pen, ne l'interrogent pas davantage sur cette question cruciale. Lorsque les journalistes et la classe politique s'expriment à propos du Front national, soit cette idée est rarement évoquée, soit elle l'est au même titre que les projets sur l'euro ou la sécurité. Comme s'il ne s'agissait que d'un point «de détail» dans la locomotive du «populisme national».