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Libération

La longue jupe noire me fout le cafard

publié le 4 mai 2015 à 20h26

On est mi-avril et je suis aux anges. Il est démontré que les femmes sont enfin des hommes comme les autres. Agnès Saal, la patronne de l’INA, tombe pour s’être fait voiturer pour 40 000 euros.

Que je vous explique les raisons de se réjouir de cet écart de conduite. Les délires de cette taxi-girl à compte G7 démontrent que l’égalité progresse, que l’indifférenciation gagne, et qu’il n’y a pas que les hommes qui perdent tout sens des réalités quand ils sont aux responsabilités.

Tout cela permet de cesser de se raconter que les femmes sont pacifiques et protectrices quand les hommes seraient par nature guerriers et prédateurs. Tout cela permet de cesser de penser que le girl power changera le monde. Le monde sera changé par des hommes et des femmes qui cesseront d'entonner ces odes au différentialisme qui sont d'une bêtise régressive. Le monde sera changé par ceux qui permettront à chacun de revendiquer à sa guise sa part féminine et sa part masculine. Tout cela prouve que Renaud avait tort de chanter, dans Miss Maggie, un couplet qui disait : «Car aucune femme sur la planète / Ne sera jamais plus con que son frère / Ni plus fière ni plus malhonnête / A part peut-être madame Thatcher.» On était en 1985, mais j'ai bien peur que cette sérénade se serine encore, façon réplique sismique des démagogies d'Aragon et de sa vision de la femme gentille qui serait l'avenir de l'homme méchant.

Il fait beau très tôt en ce printemps. Et je nourris mon contentement en faisant bombance de criminalités paritaires diverses. Désormais, les femmes ne se contenteraient plus de congeler leurs embryons. Si j’en crois la récente chronique des faits divers, elles emprunteraient même à leurs frères humains le goût du parricide ou celui de la pédagogie pédophile.

Fin avril, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes unisexe sauf qu’une longue jupe noire me fait savoir que l’égalité, ça se rabaisse, et que ça peut même régresser sévère. La terrible robe de bure à 2 euros de chez Kiabi devient le drapeau de la révolte obscurantiste. La chef d’établissement scolaire à Charleville-Mézières vient de fabriquer une martyre à petit prix. On dirait Valls avec le Dieudonné interdit, rhabillé en héros du deux poids, deux mesures.

Cela dit, ce n’est pas parce que je trouve idiot de mettre à l’index le noir corbeau des provos ados ou de refuser la fourniture de nourriture dévote en cantine que je soutiens une seconde la philosophie que cela dissimule. Si elle veut éviter que les totalitarismes ne gagnent, la République doit faire assaut de permissivité compréhensive, tout en tenant ferme sur l’émancipation des individus et l’égalité des sexes.

Côté cour de collège, j’en étais resté aux micros jupes qui voient s’allier dans une réprobation unanime le proviseur laïcard, les mères fragilisées et le grand frère islamo. Vous allez croire que je trouve mimi ces minis en ce qu’elles émeuvent la libido déglingo du vieux satyre qui est en moi. Je ne crois pas. Les lolitas me font doucement rigoler, et la chair fraîche ne m’a jamais fait saliver. Je ne suis ni Humbert Humbert ni Gabriel Matzneff. Je peux faire bien pire…

Par contre, s’il faut choisir, et il faut choisir, je préfère absolument ce bout de tissu à jambes nues, ce symbole de liberté gambadante et d’affranchissement désirant, plutôt que cette lourde chape de détestation de la sexualité, que cette façon de réserver sa virginité à un mari voileur ou de consacrer sa chasteté soumise à un dieu jaloux.

Me voilà au cœur de mes contradictions. Je voudrais de l’unisexe qui changerait de panoplie à sa guise, et je me retrouve à devoir élucubrer sur la longueur des ourlets conformes à la charia.

Je voudrais les hommes en jupe Gaultier un jour, et en marinière militaire le lendemain. Je voudrais les femmes en rangers délacées et en salopette de camionneur le matin, et le soir dans cette petite robe noire que les magazines féminins leur ordonnent de ranger dans leur dressing.

Ce que je ne veux surtout pas, c’est que la mixité régresse, que le désir fuie par la bonde du sexuellement correct et du puritanisme religieux réunis. Et c’est pour cela que je reste perplexe devant ces campagnes féministes contre le harcèlement de rue. Je comprends bien que les femmes en aient assez de n’être prises que pour des femmes. Mais, il ne faudrait pas que cela mette une longue jupe noire aux envies boulevardières des unes et des autres.

Il y a peut-être une solution. C’est de faire comme Sébastien Thiéry, l’auteur de théâtre dont la bistouquette revendicatrice a déridé Molière et fait pouffer Fleur Pellerin. Ou d’imiter les Femen qui ont nazifié le FN, de leurs seins aussi obus qu’obtus. En résumé, tout le monde à poil, et on cessera enfin de s’empailler sur la longueur des jupes noires.