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Libération
Chronique

Caron «le con», l’insulte faite aux femmes

publié le 15 mai 2015 à 17h16

On dit que notre société est victime du puritanisme et du politiquement correct. Qu’on ne peut plus prononcer des phrases considérées autrefois aussi banales que naturelles.

Ceux qui s’en plaignent ont parfois raison. Certaines expressions sont bannies de façon si maladroite que les censeurs frisent le ridicule. A-t-on oublié la volonté de supprimer l’appellation «mademoiselle» des documents administratifs pour le remplacer par un émancipateur «madame» ?

Mais le mot «con» - lorsqu’il est employé pour désigner les faibles compétences intellectuelles d’un mâle - est passé d’une manière inexplicable sous les radars de cette censure. Pourtant, n’est-il pas plus sexiste que «mademoiselle» ?

On rétorquera que cette insulte a perdu toute relation avec son référent anatomique. Mais cet argument est loin d'être convaincant. Parmi les nombreux auteurs, Michelet s'en était plaint en ces termes : «C'est une impiété inepte d'avoir fait du mot "con" un terme bas, une injure.» En réalité, pour ne pas laisser le sexisme contaminer notre langue, on devrait dire d'une femme qu'elle est «conne» et d'un homme qu'il est «couillon». Cela signifierait qu'ils sont aussi peu intelligents qu'un vagin ou une paire de testicules sans que l'égalité des sexes se trouve atteinte. Tandis que traiter un homme de «con», c'est rendre cet organe responsable de sa bêtise. Comme si le fait de posséder un vagin provoquait une imbécillité spécifique et inéluctable. Ou bien qu'être bête et être femme était synonyme. Bref, il est évident, voire flagrant, que traiter un homme de «con» constitue une insulte à toutes les femmes.

Voilà ce qui a révélé la bruyante polémique entre Caroline Fourest et Aymeric Caron dans l'émission On n'est pas couché. La demoiselle, s'adressant à Caron, a fini par un élégant : «Ça me fait chier de discuter avec quelqu'un d'aussi con que vous !» Certes, la polémique n'a pas porté sur l'emploi du mot «con», mais sur le mensonge de cette demoiselle à propos d'un procès en cours - elle a prétendu qu'elle l'avait gagné en appel alors qu'aucune décision n'avait été rendue. Dans les nombreuses explications qu'elle a données ici et là pour expliquer pourquoi elle avait été aussi approximative avec la vérité devant des millions de personnes, elle n'a pas dit un mot à propos de son emploi sexiste du mot «con». Pour quelqu'un qui se présente au monde comme une militante des plus acharnées de la cause des femmes, il aurait été bien plus convenable de lancer un «couillon» à Caron.

J’ai attendu en vain que ce Robespierre du studio Gabriel sorte sa guillotine afin de couper la tête contre-révolutionnaire de son interlocutrice. Qu’il dénonce cette déviation lexicale avec le talent oratoire qu’on lui connaît. Que ce soit lui qui, en prenant fait et cause pour la dignité des femmes, lance à la demoiselle : «Couillon, d’accord, mais pas con». Au lieu de cela il a joué les offusqués, faisant preuve d’une vanité digne d’un petit-bourgeois conservateur. Comme si c’était lui, le principal insulté, et non l’ensemble des femmes. Pire, sa réaction pourrait faire penser que s’il a été si choqué, c’est parce que Caroline Fourest l’avait traité de femme.

De fait, moi, je me suis sentie personnellement insultée quand elle a dit : «Ça me chier de discuter avec quelqu'un d'aussi con que vous !» Et j'ai pensé immédiatement que c'est pour cette raison seule que Caroline Fourest aurait dû être bannie à vie d'On n'est pas couché. Les mensonges pour lesquels elle a été sanctionnée sont beaucoup moins graves. D'une part, ils ont été découverts très vite ; de l'autre, ils témoignent davantage d'une confusion que d'un esprit réactionnaire. Et personne ne peut l'accuser, et encore moins la condamner pour de tels propos. Alors que rien ne justifie d'insulter le genre féminin dans son ensemble pour se payer la tête d'un couillon. D'un Caron.