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Libération
Réjouissances

Soutien à Julien Coupat, en tout débat critique

publié le 18 mai 2015 à 18h46

D’abord une noire irritation devant l’incrimination renouvelée de Julien Coupat, Yldune Lévy et Gabrielle Hallez. On les accuse de terrorisme et d’avoir voulu faire dérailler un TGV, histoire de délégitimer leurs choix idéologiques. Cela horripile que ce soit sous la gauche que cela se (re)produise.

Le pire, c’est que le renvoi en correctionnelle du trio de Tarnac a déboulé le lendemain du vote de la loi sur le renseignement. Cette arrogance des sécuritaires PS me donne envie de rouler dans le goudron et les plumes le freluquet tiré à quatre épingles de Beauvau, le menton crispé sur jugulaire de Matignon et le Che Guevara de la Corrèze et de l’Elysée réunis.

Cela dit, j’éprouve une certaine jubilation à voir réapparaître Coupat. Cela fait du bien de se confronter à nouveau avec des philosophies en rupture et des logiques d’ultragauche, avec des espérances de grand soir et de peuple en marche. Cela perturbe et cela énerve, cela rajeunit et cela fouette les sangs. Surtout, cela repose du lamento islamo et de la bêtise voilée qui nous reviendront bien assez tôt sur le paletot.

J'aime la dénonciation de l'Occident comme civilisation de la peur. Coupat (1) estime que le collectif se réduit «à une masse confuse d'atomes grelottants, à une série statistique d'individus apeurés». Ce catastrophisme est intéressant en ce qu'il se prolonge d'un appel à torpiller ses craintes, à émerger de ce magma d'angoisses pour reprendre sa vie en main.

J'aime les grands mots de Coupat quand l'époque est au minimalisme et à l'euphémisme, aux LOL passifs des twittos qui rient de peu et s'indignent de loin, en s'effrayant de tout. Pour Coupat, la situation qui lui est faite est «grotesque», «hilarante». La loi renseignement est «scélérate». Le gouvernement est d'un «cynisme inoxydable» et d'un «pathétique mimétisme». Ça ronfle, ça tambourine et ça nous sort de l'eau tiède.

J’aime ceux qui ont de bonnes raisons de penser que la police est partout et la justice nulle part. Coupat a des motifs personnels de revivifier ce vieux slogan. Dommage que ce soit la social-démocratie de gouvernement qui valide des reproches qu’on imaginait réservés à la droite autoritaire. Il est intéressant de tenir en respect la soi-disant empathie universelle d’une nation pour ses juges antiterroristes et ses représentants des forces de l’ordre. Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais je fatigue un peu de me jeter tous les jours au cou des CRS en brigade et de leur astiquer le brodequin. Malgré la gratitude réaffirmée, il faut savoir mettre fin aux liaisons dangereuses. Il serait temps d’effectuer une séparation de corps et de doctrine. Une séparation à l’amiable, bien sûr.

J’aime entendre resurgir, au creux des idées de Coupat, la critique de la société du spectacle et la mise en cause de la biopolitique. Préférant Vaneigem et Nietzsche, je ne déteste pas qu’on convoque Debord et Foucault, via Agamben, pour fustiger l’auto-asservissement de l’individu. L’étonnant, c’est que Coupat ne s’enferre pas dans la plainte désespérée qui pourrait en naître, dans la résignation devant ces Français devenus veaux 2.0.

Coupat croit encore qu’une insurrection viendra. Que l’Etat et le marché finiront par reculer. Qu’un autre monde est possible si le mouvement social et les zadistes alternatifs veulent bien se donner la main.

Je suis moins fan de son éloge de la violence légitime, de la célébration du recours obligé à la baston. Je trouve que ça fait petit soldat, macho trotsko, belliciste en culotte de peau. D’autant plus quand il rappelle que le pacifisme des années 30 a conduit à la Collaboration. Gaffe, il y a déjà Emmanuel Todd qui s’est embourbé dans ces comparaisons fangeuses.

Je déteste aussi quand il réduit Charlie Hebdo à l'époque Philippe Val, et Cabu au Club Dorothée. Au delà des agaceries de génération, cela dénote un esprit de sérieux à la Robespierre et un soutien limité à la liberté d'expression.

Je n’aime pas beaucoup quand il joue les Anonymous et les acrimonieux antimédias, excellente façon de se faire désirer.

Je préfère quand Coupat évoque Snowden ou Assange. Les voies ferrées et les autoroutes sont les réseaux du pouvoir d’hier. Aujourd’hui, les déplacements sont immobiles, l’ubiquité est invisible, le contrôle est ondiniste. Même si son approche paraît nostalgique du temps d’avant les avatars, Coupat est intéressant quand il recommande d’aller se confronter à nouveau au corps de l’autre, aux visages, aux figures. Manière de déchirer la cagoule numérique, la burqa virtuelle. Comme lui, j’aimerais penser que la révolution triomphera de la réaction et que la grève sera générale. Mais mon optimisme n’arrive pas à la cheville du sien.

(1) Dans «l’Obs» du 13 mai.