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Libération

Urgence vitale

A quelques mois de la COP 21, il faut renverser les priorités : promouvoir une «cosmopolitique», une politique incluant les humains et tous les autres vivants.
publié le 18 juin 2015 à 18h46

La «COP 21» qui s'annonce, ne devrait-elle pas plutôt, pour réussir, s'appeler «Cosmopolitique, première», car il y a urgence ! Mais, à condition que ce ne soit pas une annonce hollywoodienne ou une illusion mondiale de plus, une «conférence» qui semble se mettre en scène elle-même, sans faire avancer les choses. A quelle condition passer d'une telle conférence à une réelle cosmopolitique ? Mais justement, on critique souvent, et on a souvent raison, un étrange renversement des priorités. Voici une conférence qui, au lieu de discuter directement des contenus, semble d'abord discuter de la discussion elle-même, «négocier sur les négociations», comme le dit Gilles Mentré, ex-conseiller ministériel. Sur les règles, les accords, les protocoles ou que sais-je encore. Quoi de plus frustrant ? Mais il faut se souvenir d'une chose, qui tient à cette fameuse idée de cosmopolitique. C'est que la «cosmopolitique» n'a pas désigné en premier lieu la politique du cosmos ou de la Terre qu'elle doit devenir aujourd'hui. Ce n'est pas par hasard si elle est née - pour le meilleur et pour le pire - dans un écrit de Kant intitulé Vers la paix perpétuelle, c'est-à-dire d'une réflexion sur la guerre. Ce n'était plus chez Kant une idée métaphysique, comme le «citoyen du monde» des philosophes antiques, mais la recherche d'un droit effectif pour tous les êtres humains. Car ce terme de «cosmopolitique» a deux sens, aujourd'hui. Politique «cosmique» par son objet (le monde, le vivant). Ou par son cadre (international, des institutions mondiales). Et tout tient à ce que, entre ces deux sens, il peut y avoir un cercle, vertueux ou vicieux.

Le problème de la cosmopolitique internationale, c’est qu’elle a donné lieu à des institutions qui l’ont détournée en partie de son sens. La philosophe Isabelle Stengers n’avait pas tort de craindre que la cosmopolitique se laisse réduire au commerce international. A un monde où le droit de circuler et de s’installer partout sans frontières vaudrait bien plus facilement pour les marchandises et pour les entreprises que pour les êtres humains, même poussés par des guerres qui ne cessent par ailleurs de reprendre ! Car cette cosmopolitique-là, bien entendu, ne risque pas non plus d’être une politique du cosmos. Ne s’occupant pas des êtres humains, elle ne risque pas de s’occuper des êtres vivants. Elle ne rejoindra et ne produira pas cette politique du vivant qu’il faut aujourd’hui vitalement reprendre sur de nouvelles bases. Mais justement, quelles bases ? Faut-il (et peut-on) repartir directement d’une politique du vivant, de l’environnement, de la biodiversité, qui permette de changer la politique des hommes ? Cela sera peut-être vrai, en partie.

Il se peut que les urgences vitales forcent à constituer une communauté internationale, plus encore que les «droits de l’homme» (et même si on peut le regretter, car ces derniers sont vitaux, eux aussi). La pollution semble plus indéniable dans tous les pays, même totalitaires, que la répression, et peut avoir sa force de contrainte. Une cosmopolitique peut en réveiller une autre ! Mais on retombe sur le risque concret que l’on évoquait, au spectacle de ces conférences internationales.

Que faut-il dire et faire ? Au moins deux choses, qui sont parmi les conditions d'une cosmopolitique réelle, vitale, qui tienne les deux bouts du problème. Tout d'abord, ne pas tenir pour négligeable la discussion sur la discussion si elle est vraiment politique, c'est-à-dire si elle aboutit à des normes, des contraintes, qui peuvent être minimales voire arbitraires dans leur contenu (2 degrés !), mais qui vaudront par leur existence et leur effet, c'est-à-dire par leur force et leur sanction, si elles sont réelles. Mais aussi, et surtout, qu'on parle et qu'on part des injustices envers les êtres humains, sur la terre. Pas de conférence sur la Terre sans parler des «migrants» sur la Terre. C'est le même sujet. Ce droit de circuler et de s'installer dont parlait Kant. Le rendre concret. Il incarne aujourd'hui toutes les violences. Mais aussi, au carrefour des deux cosmopolitiques, tous ces droits, apparemment minimaux, qui feront bouger tous les autres : partage des biens communs, eau et air (et les autres éléments : terre et feu, c'est-à-dire énergie et lumière) ! Le souci de l'urgence et du temps long, des humains et des autres vivants, des besoins minimaux et des autres besoins vitaux. Pas une cosmopolitique contre l'autre, mais les deux ensemble, maintenant.

Cette chronique est assurée en alternance par Sandra Laugier, Michaël Fœssel, Paul B. Preciado et Frédéric Worms.