La croisade impitoyable lancée par les pays démocratiques contre les violences sexuelles depuis quarante ans - et les excès dans lesquels elle est tombée - touche sans doute à sa fin. Les attentats de janvier et le crime du pilote de la Lufthansa nous ont peut-être fait réaliser que nos plus grands ennemis ne sont pas les abuseurs sexuels, mais un nouveau type de meurtrier (terroriste, tueur de masse…) contre lequel nous ne savons toujours pas nous défendre. Cette nouvelle hiérarchie des fautes et des sanctions semble pleine de bon sens. Tuer aveuglément est tellement plus grave que commettre une infraction sexuelle ! Etre assassiné beaucoup plus gênant qu’être victime de ce type d’abus.
Un moment d'égarement de Jean-François Richet, remake du film homonyme de Claude Berri sorti en 1977, conforte cette hypothèse. C'est l'histoire de deux quinquagénaires, Antoine (François Cluzet) et Laurent (Vincent Cassel), en vacances en Corse avec leurs deux enfants. Une nuit, Laurent se laisse séduire par la fille d'Antoine qui a 17 ans. Il couche avec elle et le regrette aussitôt. L'adolescente, elle, croit être amoureuse de cet amant d'un soir et le harcèle. Pour se venger, elle raconte à son père qu'elle a eu sa première expérience sexuelle avec un homme de 45 ans qui l'a ensuite jetée. Antoine veut faire la peau à cette crapule. Et la fille de Laurent, comprenant ce qu'il s'est passé, se fâche avec son père et son amie. L'essentiel est de savoir quel type de faute a commis Laurent. Est-elle grave au point de transformer cet homme en un pervers méritant d'être jugé, enfermé et chassé à tout jamais par ses proches ? Sa faute révèle-t-elle sa nature profonde, engage-t-elle l'avenir de la jeune fille ? Peut-on penser qu'il l'a commise dans «un moment d'égarement» ?
La réponse n'est pas très difficile à deviner. Dès les premières scènes, le sexe est situé du côté de la vie, du rire, de la joie, de la folie ordinaire. Mais aussi, de la banalité et de ce qui est dépourvu de transcendance. Le sexe est très peu comparé aux liens et sentiments sérieux, notamment à l'amitié qui lie les deux hommes et les deux jeunes filles. On dira qu'une telle philosophie paraît normale puisqu'Un moment d'égarement est un remake d'un film des années 70 - période pendant laquelle les cochons et les pervers étaient rois. Néanmoins, loin d'être une répétition, refaire ce film quarante ans plus tard - alors que les mœurs ont tant changé - ressemble à une forme de retour. Comme si le producteur et le réalisateur pensaient que le sexe pouvait, à nouveau, ne représenter rien de grave. Les personnes offusquées ont bien joué le jeu. Certaines se sont plaintes parce qu'il manque le nom de deux jeunes actrices sur l'affiche, qualifiant cette erreur de machiste. Ce terme aurait pu être appliqué à l'intrigue : une jeune fille sans expérience est montrée du doigt, telle une allumeuse ayant provoqué l'ami de son père, pauvre victime innocente. D'autres encore ont signalé qu'il était dégueulasse que Vincent Cassel couche avec une femme à ce point plus jeune que lui. Que la fille soit mineure, en revanche, n'avait pas la moindre importance. On a ainsi trouvé la morale de ce film si évidente et normale que tout commentaire à ce propos aurait été superflu. Comme si chacun avait compris - sans forcément en être conscient - que l'histoire, cette capricieuse, avait tourné une page.
Cette situation nouvelle devrait attirer l’attention des réformateurs des mœurs. Ceux qui veulent transformer les institutions centrales de la vie privée, telles que le couple, et les terribles contraintes sexuelles qu’il exige, devraient savoir que c’est plus simple quand cette activité nous fait rire plutôt que pleurer. Quand une société a l’excellente idée de concevoir le sexe non pas comme une question vitale, mais plutôt triviale.