Vue du ciel, la France de l’été est dans une forme canon. Filmée depuis les hélicos de France Télévisions, qui survolent la route du Tour, le pays ronchon a la rivière qui rutile, la forêt qui verdoie et que sa montagne est belle.
Dès qu’on prend de la hauteur et que les rotors brassent les miasmes des pesanteurs qui prospèrent à ras de plancher, l’air paraît tout de suite plus frais. En fait, c’est juste qu’on lève enfin le nez des eaux fangeuses où l’on aime tant renifler le sang comme des alligators retors aux yeux mi-clos ou des requins chagrins qu’on croit taquins quand ils veulent juste bouffer du surfeur.
Vue du ciel, la route en lacets de Montvernier est d’une poésie de conte de fées. Les petits vélos qui escaladent cette parfaite difficulté alpestre semblent tout droit sortis d’un rêve en carton-pâte de chez Disney. Et, comme il y a, enfin, happy end au programme avec la victoire d’étape de Romain Bardet, méritant jeune français qui galope en avant-garde, et ne se casse pas la binette dans les descentes, tout va enfin pour le mieux dans le meilleur des mondes. Coursés par la suspicion, Froome et ses hommes en noir lèvent les yeux au ciel devant tant d’indignation sans validation mais sont bien obligés de faire diversion. Pour complaire au pays d’accueil, les Sky ouvrent la herse, et laissent les Français amuser la galerie. Aussitôt, comme par enchantement, plus personne ne parle de dopage génétique, de vélo électrique ou de watts pharaoniques. On est juste là à s’extasier du mollet gringalet et du courage restauré. Et de la beauté de ces sentiers tendrement goudronnés qui semblent des encorbellements avec vue sur le bonheur de vivre.
Vus du ciel, les éleveurs partis à l’assaut du Mont-Saint-Michel ne sont plus que des pèlerins à pataugas et houppelandes. Au lieu de pousser les pourceaux devant eux, ils enfourchent les chevaux au galop pour fuir la marée de pré-salé. On les croyait prêts à aller déverser leur lisier au pied de l’archange, ils n’insistent même plus pour passer par le fil de l’épée Michel-Edouard Leclerc et autres dragons de la grande distribution.
Vue de haut, la cathédrale de Reims impose aisément ses dentelles gothiques face aux Lego interchangeables des bâtiments du centre hospitalier où végète Vincent Lambert. Très haut oblige, on se souvient du baptême de Clovis, et que Rome vaut bien une messe. Et on a vite fait de minimiser cette querelle de famille, qui voit l’intégrisme catholique intimider la raison médicale, qui ne paraît pas bien assurée d’elle-même.
L'été, dans les magazines, vient aussi le temps des vues aériennes des villas des riches et célèbres. Et, c'est une plaisante façon d'établir le cadastre de nos jalousies populacières que de scruter le nombre de dépendances attenantes, la tonalité du bleu des piscines, l'accès direct à la mer via des escaliers de guingois, sans compter le ponton où viennent s'amarrer les cabin cruisers et les day boats, les jet-skis et les motoscafi. Ce qui est bizarre sur ces photos, c'est que ces propriétés ne semblent jamais habitées. Ni serviettes de bains battant au vent, ni bouées canards oubliées près de la pool house, ni barbecue fumant sous l'orage. C'est comme si posséder interdisait d'occuper, comme si thésauriser se faisait volets fermés.
A prendre de la hauteur, les Français se découvrent voyeurs désinvestis, se noyant dans la contemplation de paysages superbes où ils perdent allégrement les silhouettes miniatures de François Hollande, Manuel Valls et compagnie. A trop regarder de loin des émissions déroulantes comme Des racines et des ailes pour les beautés intérieures et Thalassa pour les échancrures littorales, l'overdose du naturel spectaculaire menace. C'est pourquoi, les petites fourmis pédalantes humanisent la donne et renvoient chacun aux plages d'enfance où l'on traçait dans le sable des parcours pour les billes ou les capsules, avant que la marée haute ne dévaste tout.
Vu du ciel, il est enfin assez difficile d’arbitrer la récente bataille entre les rotondités propulsives de Beyonce, alliées aux collines mamelues de Nicki Minaj, dénoncées pour vulgarité par cette Gauloise va-de-la-gueule de Lou Doillon. La planche à pain aux tatouages pas tabous peut parfois se laisser déborder par des remontées distinguées d’aristocrate anglaise. De là à ce que la bien-pensance féministe la traîne dans la boue, et fasse des machines à cash remueuses de popotin des égéries du «Black is Beautiful» et du «Girl Power», faut pas exagérer ! Le plat pays de Lou a beau être physiquement le mien, avouons que tout cela n’est pas bien grave. Et qu’à chacune, son ciel.
La chronique Ré/Jouissances reviendra le mardi 2 septembre.