Il existe, quelque part en cette vallée de larmes, qu’on ne déteste pas voir couler à flots sur les chaînes infos, un pourvoyeur de bonheur simple et de rigolade fanfaronne. Il existe sur cette terre de misère, un liquidateur des malheurs du monde et un fourgueur de camelote idiote. Celle qui fait croire que c’est dur aujourd’hui peut-être mais que demain ça sera vachement mieux.
Ce type mesure 1,96 m et chausse du 47. Il est archer de comédie et sprinteur décontracté. Il se nomme Usain Bolt, et vient de réussir une semaine athlétique grandiose qui console des avanies sans framboise et des calamités permanentes sans calumet de la paix à fumer jamais.
Voici sept raisons de croire qu’on a enfin trouvé le sauveur irresponsable et inconséquent qu’il faut à cet univers délétère.
1) Bolt est un héros rigolo. A l'heure où l'héroïsme consiste à se lever de son siège pour désarmer un flingueur jihadiste, Bolt est bien plus guignolo. L'homme le plus rapide du monde sait cligner de l'œil et mettre en scène ses promenades. Il ne roule pas les mécaniques comme ses concurrents qui ont beaucoup joué les pit-bulls égorgeurs. Lui préfère la commedia dell'arte. Cette année, sa domination n'allait pas de soi. Alors, avant de se glisser dans les starting-blocks, il a mimé l'effroi. Il a caché son angoisse supposée dans le creux de ses mains. Avant de choisir l'autodérision des sourcils haussés et des moues amusées. Bolt est assez futé pour relativiser l'anxiété qui, pour ces gâtés de la vie que sont les sportifs de haut niveau, n'est qu'un piment oiseau dans un colombo de félicité.
2) Bolt est magnanime avec ses seconds. A Pékin, le casting était idéal. Il y avait le bon et le méchant. Il y avait Bolt et Gatlin. Le premier n'a jamais été suspecté de dopage quand le second a déjà été condamné. Le premier est jamaïcain et personne ne déteste la patrie de Marley et de la ganja en production à foison. Le second est américain et personne n'aime les Etats-Unis sans mélange. Le premier est décontracté, le second est crispé. Le premier a une bonne bouille de déconneur à mimiques supersoniques. Le second a cet air de grenouille qu'arboraient les premières Twingo de chez Renault, la timidité triste en plus. Bolt aurait pu écraser de son mépris son second. Il l'a laissé s'asseoir à ses côtés. Ils se sont même marrés de concert quand Bolt s'est fait renverser par un caméraman. Bolt a prétendu que Gatlin avait «commandité l'attentat». Gatlin a demandé à l'agresseur maladroit «de rembourser l'avance consentie».
3) Bolt est un dieu resté au stade banal. Avant, il y avait Carl Lewis. Mystérieux et dédaigneux, ambivalent et détesté, le bel Apollon snobait les gargouilles bodybuildées, les gorgones sous stéroïdes, les Ben Johnson aux yeux jaunes. Aujourd'hui, Bolt est un Dionysos d'une expressivité à faire marrer jusqu'aux Vulcains contrefaits qui n'arrivent pas à lui en vouloir quand il leur pique leurs Vénus au débotté.
4) Bolt est trop fainéant pour jouer les hommes providentiels. Quand il ne court pas, Bolt se la coule douce en ado prolongé. Il ne fait pas son lit. Il ne lave pas son linge. Il ne remplit pas son chariot de feu au supermarché. Il mange des nuggets de chez McDo et des pilons de poulet de chez KFC. Ensuite, il part danser reggae avant de plier une ou deux Ferrari.
5) Bolt ne croit pas en grand-chose. Le seul moment où Bolt, qui ose une barbichette assez ridicule, énerve les antireligieux qui ont bien raison de l'être, c'est quand il se signe sans ostentation avant le départ. Espérons que c'est juste histoire de faire plaisir à sa maman adventiste du 7e Jour. Laquelle l'a œcuméniquement prénommé Usain. Ce qu'on ne fera pas sonner comme Saddam, mais plutôt comme Obama.
6) Bolt est un oiseleur rieur. Les championnats se tenaient à Pékin. La pollution flottait dans l'air mais Bolt prenait le cyanure ambiant pour un gaz hilarant. La crise financière guettait mais Bolt sauvait ses actions en satisfaisant à toutes ses obligations. Et enchantait un stade surnommé «le Nid d'oiseau» comme s'il était un as du mikado.
7) Bolt est un handicapé qui crucifie les valides. Le géant a une scoliose qui lui serpente dans le dos. Dans l'effort, il valse en torsion et en grimaces, comme s'il venait de quitter sa chaise roulante, quand Gatlin affiche un gainage de statue impavide. Et voilà que le bossu au long cours se lève et court tant et si bien qu'on entend craquer ses vertèbres qui font le bruit de palourdes qu'on écrase à marée basse. Ce qui est toujours mieux que d'écouter piétiner les ossements des clandestins, de regarder noyer les migrants, d'entendre tirer les kalachnikovs ou de voir fusiller en direct les présentateurs d'informations macabres.