Avertissement. Ce qui va suivre me vaudra sûrement de charmantes accusations de germanophobie. Je veux juste dire ceci : en 2015, il me semble nécessaire de mettre la même virulence à moquer l’Allemagne régnante que celle longtemps mise à critiquer l’Amérique dévorante. On est bien d’accord que l’Allemagne actuelle n’a rien à voir avec le nazisme défait de ses pères. Elle n’est plus héritière culpabilisée, ni convalescente fragile. Elle exerce aujourd’hui son débonnaire empire sur une Europe qu’elle façonne à sa guise. D’où l’impérieuse nécessité de fourcher les fesses de notre nouvelle maîtresse !
Ce n’est pas très charitable, mais je n’ai pu m’empêcher de pouffer en apprenant que la berline allemande spacieuse et fiable, technique et économe, crédible et ordolibérale avait triché comme un vulgaire triporteur grec. Et ce qui m’a fait étouffer de jubilation crasse, c’est ce tempo en montagnes russes. Ce «dieselgate» qui envoie au tapis Volkswagen et compagnie survient juste après un édifiant triomphe caritatif.
Début septembre, l’Allemagne, toute de grandeur d’âme retrouvée, ouvre ses bras aux migrants qui viennent se réfugier dans son giron de matrone accorte. Ce qui lui permet de régénérer son taux de natalité et de sermonner les pays des bordures, êtres frustres et simplets incapables d’une telle générosité. Mieux, la cheftaine de la zone euro fout aussi la honte à ces Français lepénisés, coquelets devenus poules mouillées qui ergotent sur les quotas d’étrangers à recycler.
Fin septembre, la fierté allemande tombe de haut. Volkswagen est plus qu’une entreprise qui aurait son siège social en Basse-Saxe. VW, c’est la reconquête germaine à visage humain. La voiture du peuple embarque à son bord cogestion et régionalisation. Les représentants des salariés comme ceux du Land trônent au conseil d’administration de VW, pied de nez à la culture actionnariale qui a saisi l’ensemble de l’industrie automobile. PSA est devenu chinois, Renault japonais, mais VW a toujours le capitalisme rhénan.
Surtout, par ses voitures emblématiques, «Das Auto» a fait beaucoup pour l’amitié entre les peuples et la décontraction à cheveux longs, avant de finir par durcir ses ambitions. La Coccinelle a des bajoues rebondies et le crâne ouvert au plein-vent. Elle a une bonne bouille, une assise courte sur pattes et un nom de dessin animé qui en font un objet amical et rigolo. La 2 CV de Citroën comme la 4 L de Renault se contentent d’être des outils d’émancipation étudiante. La Coccinelle, elle, part à la rencontre des Californie à l’esprit hippie.
Le combi VW fait encore mieux. Il est le véhicule des transports aventureux. Il incarne le nomadisme tranquille du temps où la planète est encore univers à contempler, beauté à célébrer et béatitude à fumer. Avec le combi VW recouvert de petites fleurs bébêtes et d'autocollants «Atomkraft ? Nein Danke», on s'invente romanos en tunique indienne et sabot suédois. Les petits camping-cars crachotent à la découverte des étranges étrangers quand, aujourd'hui, l'Europe se barricade derrière des parapets barbelés.
La Golf est la voiture du recentrage sur le fric qui est chic et sur l’argent qui est roi. Elle est jeune, offensive, bien dégagée sur les oreilles. Elle s’habille en Hugo Boss et part faire du windsurfer au large des sables de Sylt. La Golf est une voiture VRP qui se lance à la conquête de parts de marché dans une Europe qui estime que les frontières sont de la dernière misère et que la démocratie est forcément marchande.
Dans les années 60, les Français ne s'étaient pas passionnés pour les belles américaines, trop dispendieuses, trop hollywoodiennes, trop pharaoniques. Depuis 2000, ils se pâment pour les grosses allemandes. Et c'est le signe d'un complexe d'infériorité loin d'être soldé. Ils en pincent pour la marque sœur de VW, Audi. La Passat est un peu neuneu. Par contre, l'Audi A6 noire avec sa gueule de Dark Vador surbaissé et ses phares à LED qui mettent des virgules robotiques dans ses yeux révulsés, cela transporte le senior à résidence secondaire comme le junior d'entreprise qui se la raconte vicomte du CAC 40. L'un et l'autre se voient déjà faire du 200 km/h sur Autobahn, en toute évidence décarbonée.
Se jeter au cou d’une grosse allemande est surtout une manière de critiquer l’incurie hexagonale, la régie Renault cégétiste et les Peugeot sans génie. Nos nouveaux entichés de Coblence vantent le confort sans esbroufe, la pulsation de qualité et le compressé de sécurité et de liberté. Ils se convertissent au modèle allemand réaliste, sérieux, rationnel quand la France fait dans la dentelle de ses archaïsmes. Et, merveille des merveilles, en Allemagne, le diesel low-cost est aussi écolo. Enfin, ça, c’était avant que l’algorithme jette le masque de la tricherie…