Vladimir Poutine est devenu un sujet d’inquiétude permanent. Le président russe arbore de plus en plus une figure d’autocrate nationaliste : opposition persécutée, Eglise orthodoxe mobilisée au service du Kremlin, télévision transformée en instrument de propagande belliqueuse, opinion manipulée comme durant la glaciation stalinienne. Vladimir Poutine n’a jamais été aussi populaire dans son propre pays et aussi redoutable pour ses voisins et sur la scène internationale. Aux confins de la Russie, il construit, sans relâche, une zone d’influence, intimidant la Géorgie, inquiétant les Etats baltes et la Pologne, annexant la Crimée, intervenant militairement en Ukraine, poursuivant ainsi l’éternel rêve impérial russe. En Syrie, son allié et sa vassale de toujours, sa base avancée au Moyen-Orient, il mène un jeu ambigu et déstabilisateur, maintenant en vie artificiellement le régime de Bachar al-Assad, dressant les sunnites contre les chiites, divisant la coalition internationale. Malgré l’état précaire de son économie, Vladimir Poutine redevient une menace. François Hollande proclame sur Arte qu’il n’est pas notre allié et a besoin de faire ses preuves pour être un partenaire. A Paris, l’homme du Kremlin peut cependant compter sur de nombreux et très hétéroclites alliés.
Le Parti communiste, comme incapable de se défaire de décennies de solidarité intime avec l'Union soviétique, continue à le défendre, à le soutenir sans relâche. L'Humanité demeure le quotidien le plus prorusse. Les Etats-Unis restant le mal absolu et l'Europe un mal relatif, la Russie incarne toujours pour le Parti communiste un espoir, une force, l'objet d'une sympathie active. Le nationalisme, l'expansionnisme et presque le bellicisme de Vladimir Poutine ne semblent pas l'émouvoir. Le système économique oligarchique et le système politique autocratique ne le troublent apparemment pas. La mythologie russe fonctionne toujours. Quand François Hollande et Vladimir Poutine s'opposent, le Parti communiste penche plus vers le Kremlin que vers le palais de l'Elysée. Le Parti communiste compte beaucoup moins qu'avant dans le débat mais ses sentiments prorusses demeurent immuables.
A l’autre extrémité de la scène politique, le Front national n’en finit pas de chanter les louanges de Vladimir Poutine. Marine Le Pen est reçue en amie et en alliée, honorée et complimentée, ce qui devrait d’ailleurs interpeller et choquer le Parti communiste. Le président russe applaudit au nationalisme de l’extrême droite française, se délecte de son aversion pour l’Europe, comprend et approuve sa xénophobie, très proche de la sienne. Marine Le Pen considère comme le président russe que Bachar al-Assad est un pôle de stabilité, au moins un moindre mal. Tout dirigeant du Front national est le bienvenu à Moscou. Lorsque l’extrême droite a eu besoin d’argent, c’est une banque russe très proche du Kremlin qui le lui a fourni. On imagine le déchaînement et l’indignation de l’extrême droite si Les Républicains avaient reçu un prêt comparable d’une banque américaine ou si le Parti socialiste avait eu recours aux services d’une banque allemande. Entre nationalistes, il lui paraît normal de s’entraider.
Enfin, Vladimir Poutine peut compter sur la compréhension et sur la sympathie d’une partie des lointains descendants du gaullisme. C’est une vieille histoire. Le général de Gaulle a toujours tenu à entretenir des liens cordiaux avec l’URSS, qu’il ne considérait que comme une forme provisoire de l’éternelle Russie. Son antiaméricanisme, son rejet de l’Europe fédérale, sa volonté de démontrer, en toutes circonstances, l’indépendance de la France, bref, son glorieux souverainisme le poussait, il n’était pas le premier monarque français à le faire, à jouer avec l’idée d’une alliance de revers.
Les plus souverainistes des néogaullistes continuent à prôner un partenariat actif avec la Russie. Ils se montrent des plus compréhensifs à l’égard de Vladimir Poutine. François Fillon ne perd pas une occasion d’appeler à resserrer les liens et à surmonter les divergences. Une partie de la presse de droite lui emboîte le pas. Tous ceux-là critiquent ouvertement François Hollande, lequel poursuit, au contraire, la politique russe de François Mitterrand : fermeté et vigilance, coopération quand c’est possible, contradiction si nécessaire.
En somme, s’il n’existe plus de lien particulier entre la Russie et la France depuis François Mitterrand (encore que le Kremlin ait apprécié Jacques Chirac et son refus d’entrer en guerre en Irak aux côtés des Etats-Unis), il existe toujours à Paris un parti russe, disparate, contradictoire mais influent : anachronique s’il s’agit du Parti communiste, archaïque s’il s’agit des néogaullistes, logique en ce qui concerne le Front national.