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Libération
Chronique «Ré/Jouissances»

Platini attaqué, la France en défense

Blatter a donné le baiser de la mort au héros français. Ce qui met aux cent coups les Hollande-Valls qui espéraient se sauver par le foot.
publié le 12 octobre 2015 à 22h06

Caramba, encore raté ! Michel Platini va avoir beaucoup de mal à devenir président de la Fifa comme il n’a jamais remporté une Coupe du monde. Le meneur de jeu qui fit des Bleus les champions de l’Euro 1984 n’est que le petit-maître de l’UEFA, la riche association continentale tenue sous le boisseau par la plantureuse et vénéneuse Fifa. Il voulait le monde, il n’aura que l’Europe avec en prime la dague au curare de Sepp Blatter, son devancier, plantée entre les omoplates.

Le numéro 10 à maillot sorti du short devenu hiérarque à costard mal repassé est aujourd’hui replié en défense. Pour résoudre les équations d’un affrontement bétonné, il revenait parfois vers ses bases arrières pour se réapproprier le cuir et tenter d’inventer des transversales édifiantes dignes d’un génie de la balistique qui aurait érigé son dilettantisme physique en art de l’anticipation. Platini pense que c’est au ballon d’aller vite, pas au joueur. S’il ne veut pas finir au «ballon», l’ancien joueur va devoir inventer un tour à sa façon.

Ni révolutionnaire ni particulièrement vénal. Platini n'est pas un rebelle. Ce n'est ni un doux dingue déglingué et démoniaque comme Maradona ni un transgressif alternatif au port hauturier comme Cantona. Platini n'a rien de révolutionnaire. C'est un capitaine générationnel, un leader de tous les garçons de son âge, un patron malin et roublard sans prétention autre que celle d'aller au bout d'une route déjà tracée.

Platini n’est pas d’une vénalité exagérée, mais il ne s’oublie pas. Il a pioché comme les autres dans la caisse noire de Saint-Etienne au temps où les talents n’engrangeaient pas gras. Maintenant qu’Ibra se goberge d’un million d’euros par mois, Platini se met doucement à niveau des pratiques d’un univers où l’or ruisselle en fontaine de champagne. Il pousse moderato son fils dans le dos ou fait rémunérer sans excès son influence. S’il a trafiqué, à l’avantage de Blatter, c’est moins motivé par l’appât du gain que par souci d’un rapprochement stratégique. Le goupil n’a pas compris que Blatter est rusé pour deux. C’est le seul qui n’en croque pas et qui mouille son entourage tout en restant au sec.

Le vieux pouvoir des vieux. Platini s'inscrit toujours dans le cadre des mentalités et des mœurs d'un univers balisé par l'habitude. Ce qu'il aime, c'est gagner selon les règles, pas tout mettre à bas. Quand il décide que la conquête des institutions sera le dernier étage de la fusée de sa passion foot, il prend classiquement la roue de Sepp Blatter, le meilleur d'alors. Il aide le Suisse à conquérir la Fifa. Il pense que son tour viendra, que le deal est topé là. C'est quand le Français pousse le pépé de 79 ans dans les orties que l'affaire prend un tour shakespearien. Sanguinolent, César-Blatter retourne le poignard contre Brutus-Platini, fils meurtrier. Pour tuer le temps qui lui est compté, Chronos-Blatter dévore le plus doué et le plus grassouillet de ses enfants. Histoire de faire la peau à son jeune demi-frère Britannicus-Platini, Néron-Blatter fout le feu aux vertes pelouses de Rome et frappe au ventre sa mère Agrippine-Fifa.

Atteinte à l'orgueil national. Comme Blatter, Platini n'aime pas que la jeunesse lui en remontre. En 1998, le héros retraité ne cesse de ricaner en biais et de mettre en doute l'aura de la smala Zidane. Celle-ci a le grand tort de décrocher l'inaccessible étoile d'un Mondial français que Platini s'est contenté d'organiser. Matois, l'amuseur fait passer pour des vannes de tailleur, pour des saillies de chambreur, ce qui n'est que l'acrimonie du compétiteur compulsif dépassé par ses cadets et qui sait que sa chance ne repassera jamais.

Aujourd'hui, Platini est l'un des derniers chéris d'un pays qui numérote ses abattis. L'Astérix sans moustache devenu un rien Obélix est l'un des survivants encore vivace de ces condottieres d'une reconquista qui, dans les années 80, vit les éternels perdants reprendre du mordant. Mais, le temps a passé. Désormais, Hinault inaugure les chrysanthèmes pour la société du Tour de France en décorant les juvéniles vainqueurs toujours venus d'ailleurs. Prost espère désespérément remonter une écurie de F1 française avec cette brave régie Renault internationalisée. Et Noah revient jouer les adjudants intelligents et entraîner pour la coupe Davis un quadrille d'individus sympathiques mais assez démantibulés du collectif. Ne reste que Platini, qui sauve l'honneur en guignant un pouvoir tout sauf illusoire. Hollande, le milieu droit du FC Rouen, et Valls, le libéro du FC Barcelone, prennent d'autant plus fait et cause pour le jovial Platoche qu'ils espèrent une victoire à l'Euro 2016 ou l'attribution des JO 2024 qui pourraient faire oublier les défaites sur le front de l'emploi. Et voilà que patatras !