La notion d'«identité nationale» peut-elle être défendue par les forces «progressistes» ou «républicaines» de ce pays ? L'expression doit-elle être revendiquée comme porteuse de valeurs ou d'idéaux collectifs valables, voire fructueux ? Dans un papier consacré au dernier livre d'Alain Finkielkraut, Laurent Joffrin répond à ces questions par l'affirmative (lire Libération du 8 octobre). A ses yeux, l'«identité nationale» n'est rien d'autre qu'«aimer son pays», «partager un héritage, une histoire», «défendre la culture française, celle de Molière, Hugo ou Camus, et promouvoir l'identité française, dès lors qu'on y inclut, au premier chef, la geste républicaine, la saga du mouvement ouvrier ou l'héroïsme de la Résistance».
Or, chacun sait que la notion d’identité nationale est employée pour accuser toutes sortes d’éléments exogènes qui cherchent à la corrompre. L’expression fait allusion à une continuité dans le temps qui n’est pas seulement institutionnelle (la continuité de l’Etat français), mais aussi sociologique et culturelle.
C’est la volonté d’attribuer à un peuple des caractéristiques particulières afin qu’elles soient juridiquement protégées avec la même ardeur que les frontières, l’économie ou la sécurité physique des habitants. C’est une manière de parler de la «pureté», et donc aussi de la «purification», à laquelle un bon patriote devrait se livrer pour sauver son pays en danger. Cela dépasse de loin les griefs économiques faits à l’immigration pour s’attaquer aux Français affichant certaines différences jugées intolérables par d’autres. Il y a alors moins une volonté de fermer les frontières (elles le sont déjà) que d’en créer de nouvelles au sein même de la population française. Si, pour les uns, cela doit se traduire par l’interdiction de certaines pratiques, pour les autres, cela revient à mettre en cause les règles d’attribution de la nationalité, jusqu’à celles attribuées dans le passé. Même si cela n’est pas clairement exprimé par le Front national et ses «alliés objectifs», il est très difficile de ne pas l’envisager comme programme politique à moyen et long terme.
Et que dire de l'expression «aimer son pays», variante «douce» de l'identité nationale ? On sait très bien ce que signifie trahir son pays. Il en est ainsi de ceux qui prennent les armes contre celui-ci, à l'instar de ces Français qui partent combattre en Syrie (dont une bonne partie sont de souche, nés chrétiens et de race super blanche). Mais «aimer» son pays reste beaucoup plus vague. On peut être content de vivre quelque part, apprécier la cuisine, la musique ou l'organisation d'un lieu. On peut être fier que ce pays soit bon, voire le meilleur, sur certains points. Mais le mot «aimer» ne s'applique pas à une entité abstraite telle qu'un Etat ou un peuple. C'est tant mieux, car l'amour peut conduire à des catastrophes. Certains tuent l'objet de leur amour ou cherchent à prendre des décisions parfois désastreuses à sa place. Hitler - qui semble-t-il aimait follement le peuple allemand - a décidé de l'exterminer lorsque sa défaite est devenue imminente. Que dire également de la défense de la culture française, que la plupart des élites politiques et médiatiques, à l'instar des Français de souche, chrétiens et de race blanche, ignorent ou connaissent à peine ?
Les forces progressistes devraient comprendre que l’expression «identité nationale» ne rencontre aucun salut dans la grammaire démocratique. Elle ne représente rien d’autre que le nouvel habit d’un nationalisme xénophobe et chauviniste, cherchant à mettre en échec à la fois la démocratie et la construction européenne. Et l’on peut se demander qui va bien pouvoir défendre l’une et l’autre, si les forces «progressistes» ou «républicaines» de ce pays se laissent, elles aussi, séduire par les vociférations tonitruantes. Par le charme irrésistible des gardiens de l’identité nationale.