Ç’aurait pu être un subterfuge de plus. Après tout, ce n’est pas la première fois, qu’un dirigeant politique bidonne une rencontre avec de faux citoyens, avec de faux passants, de faux clients de supermarchés, de faux militants, qu’il bourre une salle de meeting avec des figurants, qu’il s’invente un peuple sur mesure, un public applaudissant au bon moment, posant les bonnes questions à l’exclusion des autres. Depuis Catherine II et les villages Potemkine que l’on faisait construire en toute hâte sur son passage, pour créer l’illusion de la modernisation du pays, on connaît le système.
En s’invitant chez une retraitée lorraine, Lucette Brochet, pour un café en toute simplicité, François Hollande pouvait vraiment espérer produire une belle image : le président attablé avec l’infirmière retraitée. Et ce fut une belle image. Bien sûr, on notait bien quelques visages ministériels en arrière-plan. Mais cette chaleureuse parenthèse venait éclipser les images de la semaine précédente, quand un ouvrier CGT, en pleine affaire de la chemise Air France, avait refusé de serrer la main du même François Hollande. Elle venait éclipser ces semaines des dernières saisons où le président ne pouvait pas sortir dans une rue sans subir les sifflets de militants de la Manif pour tous. Quelques jours plus tôt, au cours d’une visite présidentielle en banlieue, les caméras avaient encore capté quelques sifflets. Sans même parler du souvenir déjà lointain, mais encore prégnant, des plaisanteries hollandiennes sur les «sans-dents», rapportées par Valérie Trierweiler. Quant à Manuel Valls, c’était plus simple encore : au cours d’une réunion décentralisée en banlieue, il avait renoncé à toute rencontre avec les peuplades locales.
Mais la belle image ne devait pas durer longtemps. Mais où vivent-ils, les petits génies de la com de l’Elysée ? Ils ne regardent pas la télé ? Ils ne savent pas que depuis quelques années, le «méta-médiatique», le décryptage, le décorticage, cernent le «coup de com», le majestueux coup de com, comme la meute cerne le grand cerf aux abois ? Ils ont raté ces retours sur images, ces ralentis, ces effets de zoom, qui se multiplient sur toutes les chaînes ?
Arriva ce qui devait arriver. BFM s'empara de l'affaire. Oui, BFM. Car BFM a décidé de se lancer elle aussi dans la contre-enquête manière «méta-média», notamment en embauchant une journaliste venue du Petit Journal de Canal +, Sahlia Brakhlia. BFM a une grille à remplir. Une grille vorace. Les coups de com ne lui suffisant pas, il fallait bien que la chaîne se lance aussi dans le démontage de ses propres coups de com. La journaliste, donc, retourna interroger la fameuse infirmière retraitée. Laquelle répondit bien volontiers. Oui, confessa-t-elle, «un gars de l'Elysée» lui avait bien fait comprendre qu'il ne faudrait pas embêter le président, en lui reprochant, comme elle souhaitait le faire, de «s'occuper beaucoup des immigrés, mais pas des clochards qui crèvent dans la rue». (C'est l'avis de Lucette Brochet. Il ne s'agit pas ici de le reprendre à notre compte, ou de discuter son bien-fondé, mais de signaler qu'un «gars de l'Elysée» a gentiment demandé à Lucette Brochet de s'abstenir de faire cette remarque au Président.) Et les chaises, sur lesquelles s'étaient assises les Excellences du cortège ? Des chaises de la mairie. Et le café ? Du bon café municipal. Et le bouquet de fleurs ? La mairie. Une mairie spécialisée en ameublement, une mairie fleuriste, une mairie bistrotière.
De la part de l’Elysée, c’est une erreur de débutant. Sans la contre-enquête de BFM, qui aurait vu les images de Hollande chez l’infirmière retraitée ? Tant que le méta-média restait cantonné aux émissions spécialisées, les fabricants d’images bidon pouvaient faire semblant de ne pas le voir, et continuer à produire mécaniquement leurs images édifiantes, dans l’indifférence générale. Mais si BFM s’y met…
On pourrait soutenir qu’il est beaucoup moins grave de bidonner une rencontre avec une infirmière retraitée, que de trahir ses promesses de campagne, sur le vote des étrangers aux élections locales, par exemple. Mais non. L’image est une arme à double tranchant. L’image de Hollande attablé devant son café Potemkine, devant ses fleurs Potemkine, s’imprimera au moins autant que le reniement (abstrait) de ses promesses de campagne.