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Libération
Chronique

La question du plafond de verre

Contre l’extrême droite, il existe une solution, simple mais forcément aléatoire : la résistance non pas des appareils, mais des citoyens eux-mêmes. Le refus de voter pour un parti nationaliste, populiste et effrontément démagogique.
publié le 12 novembre 2015 à 18h06

Si l’on en croit les dizaines de sondages d’intentions de vote publiés depuis la rentrée, le Front national (FN) est assuré de réussir un bon premier tour aux élections régionales. Les circonstances le servent : aux motifs chroniques de mécontentement (le chômage, l’insécurité, le pouvoir d’achat) viennent s’ajouter les incroyables cafouillages du gouvernement qui entretiennent un sentiment d’acharnement fiscal, d’amateurisme, et même de cruauté à l’égard de catégories vulnérables de Français (handicapés, veuves, etc.). L’afflux en Europe de réfugiés venant par centaine de milliers du Moyen-Orient a beau contourner la France pour l’instant, il n’en est pas moins anxiogène et semble confirmer les prophéties apocalyptiques de l’extrême droite. Du coup, l’inquiétude est perceptible chez Les Républicains (LR) et le découragement affleure dans le camp socialiste. A droite, derrière la façade unitaire, les rivalités entre sarkozystes et anti-sarkozystes continuent. A gauche, la division s’enracine. Par contraste, le Front national n’a pas encore gagné le premier tour mais déjà toute la campagne s’organise autour de lui. Résultat : sur les treize régions métropolitaines, le second tour devrait opposer dans dix cas les socialistes aux «républicains» mais il n’est question que des trois régions (Nord-Pas-de-Calais-Picardie, Paca et Grand-Est) où l’extrême droite peut l’emporter au second tour. Dans une période de fortes tensions comme celle-ci, la stratégie de la colère et de la peur est la plus efficace. Le Front national engrange donc.

Pourtant, c’est bien au second tour que se décideront la victoire ou la défaite. La tripolarisation, avec le PS, LR et le FN en forces dominantes change la donne habituelle. Au cas de figure classique et relativement simple, gauche contre droite - avec tout de même le problème de la discipline des reports de voix des petites formations - se substitue un affrontement tripolaire beaucoup plus complexe. Les socialistes et Les Républicains ont au moins en commun de vouloir farouchement la défaite de l’extrême droite, les premiers, par antagonisme absolu ; les seconds, par un mélange instable d’hostilité foncière, de cousinage lointain et de rivalité furieuse. Mais comment faire pour tenter de battre le Front national au second tour, même s’il a remporté le premier tour ?

En fait, c’est là aussi une forte nouveauté et une grosse complication, deux méthodes s’opposent : la réplique des appareils ou le sursaut des électeurs, c’est-à-dire le Front républicain ou «le plafond de verre». La première est dangereuse et la deuxième est incertaine.

Le «Front républicain», appellation d’ailleurs contestable puisqu’il rassemblait, traditionnellement, la gauche contre la droite et non pas les partis de gouvernement contre l’extrême droite, le Front républicain présente plus d’inconvénients que d’avantages. Outre que LR le récuse officiellement et que les socialistes se divisent profondément à son sujet, sa mise en œuvre risquerait fort de permettre une victoire à court terme mais de préparer une déroute à moyen terme. Un accord, même dans trois régions seulement. Même s’il n’empêchait pas un affrontement dans les dix autres régions, constituerait, par principe, une forme d’alliance, en tout cas une coopération ostensible, ce qui illustrerait très exactement l’accusation majeure du Front national : la connivence PS-LR, la consanguinité entre partis de gouvernement.

L'extrême droite serait alors sans doute battue en décembre mais elle aurait beau jeu de se présenter à l'élection présidentielle comme alternative aux partis du système. C'est l'objectif même de Marine Le Pen : substituer un nouvel affrontement FN-partis de gouvernement à l'antique lutte de la gauche contre la droite. Un type inédit et très périlleux d'alternatives, une bipolarisation du XXIe siècle.

Il existe, heureusement, une autre solution, plus simple, plus démocratique, plus naturelle mais forcément aléatoire, c’est le plafond de verre, c’est-à-dire la résistance à l’extrême droite non pas des appareils mais des citoyens eux-mêmes. En clair, le refus de voter en toutes circonstances pour un parti nationaliste, populiste et effrontément démagogique. C’est, en théorie, le sentiment de deux tiers des Français. C’est ce qui, presque toujours, s’est effectivement produit d’élection en élection.

C’est ainsi qu’aux élections départementales de l’an dernier, le Front national a subi une lourde défaite au second tour, malgré un bon premier tour. Par-delà les appels ou les négociations des appareils politiques, les citoyens eux-mêmes s’autodéterminent et marquent les frontières : le Front national respectant les lois est légitime à concourir, mais le Front national affichant des valeurs et des convictions contraires à toute la culture politique française est stoppée par les citoyens. Il n’y a pas de compromis entre des appareils mais un plafond de verre librement soutenu par les électeurs. Cela s’appelle le réflexe démocratique.