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Libération
Chronique

Du fric et du féminisme

Jennifer Lawrence, le 10 mai à New York. (Photo Eric Thayer. Reuters)
publié le 13 novembre 2015 à 10h36

Jennifer Lawrence l'a mauvaise. «La petite fiancée de l'Amérique» réclame d'être aussi bien payée que ses homologues à pénis. A travail égal, salaire égal, elle a raison. Pourtant, on tique. A 25 ans, « J-Law » est l'actrice la mieux payée au monde, avec 52 millions de dollars (45 millions d'euros) par an. C'est certes 30 millions de moins que Robert Downey Jr., recordman actuel. Mais avec 15 % de femmes sous le seuil de pauvreté aux Etats-Unis, ce combat – partagé par Jessica Chastain ou Patricia Arquette – n'a-t-il pas quelque chose d'obscène?

Maligne, l’actrice concède «qu’on peut difficilement s’identifier à [ses] problèmes». Une femme américaine gagne en moyenne 77 cents quand un homme touche 1 dollar. Pour mettre fin à cet écart, nombre d’économistes pensent qu’une hausse du salaire minimum aiderait un maximum de femmes, plus souvent coincées que les hommes dans les jobs moins bien payés.
Mais qui, à Hollywood, a soutenu le mouvement « Fight for 15 », lancé par les travailleurs pauvres pour obtenir 15 dollars de l’heure? En s’abstenant de soutenir des mouvements sociaux au-delà de leur profession, les actrices cantonnent l’inégalité salariale à une question de sexisme, à l’instar de ces héritières de la noblesse anglaise qui réclament la fin de la primogéniture. L’égalité oui, mais entre privilégiés.
Dans le New York Times, la féministe old school Nancy Fraser s’inquiétait récemment de voir le féminisme moderne réduit à n'être qu'une «critique du sexisme qui justifie de nouvelles formes d’inégalité». Selon elle, «le féminisme ne se résume pas à faire accéder quelques femmes à des positions de pouvoir dans la hiérachie sociale. Il s’agit aussi de la remettre en question».
Une critique visant la stratégie de Sheryl Sandberg, directrice des opérations de Facebook, pour qui les femmes puissantes doivent s’allier et négocier de meilleurs salaires. Pas besoin de régulation, il suffit d’utiliser son influence ! Dites ça à une caissière. L’inégalité entre les sexes est insupportable mais l’inégalité économique est naturelle, en somme. Dès lors, on ne s’étonnera pas que l’héroïne working class, type Norma Rae (portrait d’une syndicaliste qui valu un Oscar à Sally Field en 1979) ait disparu des écrans.