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Libération

La réunification de Hollande

Le Président s’en va-t-en-guerre. C’est un personnage nouveau qui s’avance, comme révélé à lui-même par la tragédie du 13 novembre.
publié le 18 novembre 2015 à 18h26

Chaque président rencontre l’histoire à un moment de son mandat. Ce fut le cas pour Valéry Giscard d’Estaing avec les deux crises pétrolières, qui déclenchèrent le grand dérèglement économique, pour François Mitterrand, avec la crise des fusées SS-20 et, avec la première guerre d’Irak, pour Jacques Chirac avec la deuxième guerre d’Irak, pour Nicolas Sarkozy avec les crises mondiales bancaires, financières et monétaires qui se succédèrent en rafales. C’est le tour de François Hollande. Son rendez-vous avec l’histoire s’appelle l’Etat islamique et a pris la forme d’attentats tragiques d’une nature totalement inédite en France. Pour trouver dans notre mémoire collective quelque chose d’équivalent en violence et en fanatisme, il faut remonter aux horreurs perpétrées durant la guerre d’Algérie. Voici donc le chef de l’Etat face à la cruauté de l’histoire.

Devant une telle épreuve, on peut décevoir ou s’affirmer. François Hollande, manifestement atteint et touché vendredi, a pris à cette terrible occasion une dimension nouvelle. Il s’est imposé, comme porté au-dessus de lui-même par l’urgence et la nécessité. Il a fait preuve d’une autorité toute présidentielle, d’un sang-froid mitterrandien, d’un esprit de décision jusqu’alors embrumé ou dévolu à sa politique extérieure. Il a prononcé devant le Congrès de Versailles un discours naturellement rassembleur, c’est la moindre des choses, mais avant tout empreint d’une résolution nouvelle : non pas un discours clemenciste et épique comme celui, fort beau, de Manuel Valls en janvier devant l’Assemblée nationale mais un discours typiquement mendésiste, c’est-à-dire, un discours programme sobre, intense, précis, rationnel, discrètement habile et ostensiblement énergique. Une métamorphose ou plutôt une réunification.

Jusqu’à présent, la présidence Hollande donnait le sentiment d’inaugurer une forme très curieuse de cohabitation, un dédoublement présidentiel : sur le terrain national, le chef de l’Etat semblait progresser par glissades successives, jamais directes, jamais totalement assumées, toujours complexes et brouillées par les incartades incessantes de sa majorité et par les cafouillages déprimants de son gouvernement. L’exceptionnelle ingéniosité mise par les socialistes à rendre incompréhensible et indigeste sa politique fiscale en était le totem. Certes, depuis janvier 2014 on percevait un dessein cohérent mais à condition de vouloir surmonter les nuisances qui l’entachaient. En revanche, dans le domaine international c’était l’inverse. Là, François Hollande décidait, tranchait, prenait des risques et des initiatives. Au Mali, dans le Sahel, c’est lui qui avait déjà voulu stopper l’Etat islamique. En Syrie, il avait été partisan de stopper Bachar al-Assad quand c’était encore possible, jusqu’à ce que Barack Obama renonce. Devant le conflit ukrainien, il avait fait accepter une ligne de fermeté proportionnée à des Européens profondément désunis et, devant le périlleux dossier grec, il avait fini par convaincre Angela Merkel d’éviter la politique du pire. Les Français, à vrai dire, ne lui en savaient aucun gré mais autant il s’enlisait dans l’Hexagone, autant il marquait des points hors de France. Electoralement, c’était stérile ; psychologiquement, c’était intriguant. Ici, il avançait en spirale et là-bas il cheminait tout droit.

Le discours de Versailles apparaît donc comme une réunification. Le Hollande réel émerge du Hollande virtuel. Cette fois, c’est un discours de chef de guerre, un discours de président en armure qui repousse l’ombre incertaine du président masqué. Aucun artifice de communication, aucune tentation de lyrisme escamotant la brutalité exceptionnelle de la situation. François Hollande s’en va-t-en-guerre. Augmentation substantielle des personnels policiers militaires, judiciaires, pénitentiaires ; durcissement des procédures et des propositions de constitutionnaliser et de moderniser l’état d’urgence, clarification des objectifs stratégiques (l’ennemi, c’est Daech), déclenchement sans précédent des mécanismes de solidarité européenne, balayage impérieux des critères budgétaires qui jusqu’alors étaient l’Alpha et l’Omega de la politique hollandaise. C’est un personnage nouveau qui s’avance, comme révélé à lui-même par la tragédie du 13 novembre.

Bien sûr, il serait ingénu de ne pas y percevoir aussi quelques pièges tendus à l’opposition, mise au défi de repousser ce qu’elle-même venait de proposer. Comme toujours, il faudra juger l’architecte non pas à ses plans mais à ce qu’il construira effectivement. Jamais cependant François Hollande n’avait été aussi clair et précis sur ses objectifs, ses moyens, son calendrier et même, ô miracle, son dessein. Son image va forcément s’en trouver modifiée, redessinée, une phase politique substantiellement différente peut s’ouvrir. Jusqu’à la fin de l’année, les circonstances (funérailles, conférences mondiales sur le climat, vœux présidentiels) lui offrent l’occasion de consolider ce tournant. Si ses intentions se concrétisent rapidement, son statut présidentiel en sera évidemment rehaussé. Pour sa popularité, tout dépendra des résultats perceptibles. Une chose est sûre, du drame est né un changement. La politique vient de reprendre l’ascendant sur l’économie.