Si j’ai bien compris les résultats du premier tour des élections régionales, on n’est pas au bout de nos Le Pen. Ils ont l’air tellement invincibles qu’on avait pensé, cet été, que le mieux était de compter sur le père pour dégommer la fille (et réciproquement). Chou blanc. Au contraire, la bataille a plutôt eu comme effet de blanchir Marine. Gageons que ça pourrait se reproduire entre la tante et la nièce : les déclarations incendiaires de Marion pourraient provoquer des réserves de Marine, qui finira par se présenter en rempart contre sa famille, se posant on ne peut mieux en femme d’Etat.
Qu’est-ce qui a changé pour que le Front national devienne plus respectable ? Les cadres du parti, son idéologie ou les électeurs ? Ceux qui se cachaient commencent à pavoiser. Les candidats des autres partis n’ont plus rien à reprocher aux électeurs du FN, ce sont des brebis égarées dont ils entendent soudain d’autant mieux les bêlements douloureux qu’ils espèrent plus rapide leur retour au bercail. Mais le temps semble passé où ces électeurs n’étaient que des imbéciles à qui il fallait pardonner car ils ne savaient pas ce qu’ils faisaient. D’ailleurs, tout le monde comprend pourquoi le vote Front national augmente. Les brebis, parfois, rêvent de devenir des loups. Si c’était un vote de protestation, les électeurs, une fois le FN au pouvoir, se contenteraient de dire : «Bien fait, bisque bisque rage.»
Ce qui est inquiétant, c’est que les électeurs attendent des résultats du Front national. Mais bon, c’est aussi une lueur d’espoir dans cette France en guerre victime du terrorisme et où le chômage est au plus haut : il y a des gens pour penser qu’on sera plus forts si on arrive à rester entre Français, avec nos petits francs. Il y a aussi un côté kamikaze social, contre lequel il est comme on sait difficile de se défendre, chez ceux qui sont persuadés qu’ils n’ont rien à perdre.
C’est singulier, la démocratie, quand on n’a pas d’autre choix que de voter pour quelqu’un qui n’est pas son choix, ou «ni-ni», ce qui n’est pas non plus très exaltant. Le désistement en faveur de l’adversaire, ça a un côté enfantin, comme si on levait les bras en disant : «Je me rends.» C’est sympathique et défendable mais c’est aussi un peu le fameux drapeau blanc de la vertu qui est parfois dur à avaler. De ce point de vue, peut-être Marine Le Pen s’indignera-t-elle bientôt de la faible présence des femmes à la tête des partis prétendus républicains quand sa nièce et elle forment avec le seul Florian Philippot les personnalités les plus en vue du FN. Quand il a choisi d’appeler son nouveau parti Les Républicains, Nicolas Sarkozy ne devait pas imaginer que les initiales LR allaient phonétiquement désigner l’état où se retrouve la droite.
L’austérité ne s’est pas révélée le vaccin adéquat contre l’extrême droite. On imagine la stupeur à Bruxelles où les experts n’avaient pas dû prévoir ces effets collatéraux. Ou peut-être les connaissaient-ils parfaitement mais ont-ils pensé qu’il ne fallait pas se tromper de priorité, le pacte de stabilité économique plus que le pacte de stabilité sociale. Si j’ai bien compris, la dette, voilà l’ennemie, la dette immonde qui rampe dans nos rues, vient terroriser nos villages, assommer les vieux et empêcher les enfants de dormir.