Depuis qu'elle a chanté Imagine place de la République, je suis devenu fan de Madonna, et je la proposerais bien comme nouvelle Marianne. Ne rigolez pas ! Je sais, j'ai toujours été horriblement daté en matière musicale et ce choix ne fera que m'enfoncer profond dans le sillon de ma caricature. Je continue à écouter Bob Dylan et Leonard Cohen. Pour le rap, j'en suis resté à MC Solaar, et je ne connaissais pas l'existence des Eagles of Death Metal avant le carnage. Je confesse même garder en tête les ritournelles de Zaz qui claironne : «Je veux de l'amour, de la joie, de la bonne humeur.» Ce qui est un programme rudimentaire mais nécessaire en ces temps délétères. Alors, choisir Madonna ne fera qu'ajouter à ma réputation de déconnecté profond.
Vous allez dire que la période me rend tout chose, qu’il suffit qu’on me prenne par les sentiments et qu’on me témoigne compassion et solidarité pour qu’immédiatement je me laisse aller à la bêtasserie affective et à la complaisance tire-larmes. Madonna, cela fait ringard et tout pailleté de marketing et de provoc à deux balles, mais ma proposition est plus politique que vous ne le pensez.
Les paroles de l'hymne de Lennon sont intéressantes à traduire et à redire. «Imagine qu'il n'y a aucun paradis / Aucun enfer en dessous de nous… / Imagine qu'il n'y a aucun pays… / Aucune cause pour laquelle tuer ou mourir… / Aucune religion non plus.» Répétez après moi : «Aucune religion non plus.» Ad libitum… Faire pièce au fanatisme, tout le monde semble en être d'accord. Mais il s'agit aussi de répéter que les monothéismes sont des machines de pouvoir, qui ne se cantonneront jamais à la sphère privée, qui veulent imposer leurs normes, régenter la vie personnelle, contrôler sexualité et mode de reproduction, manière de se vêtir et de se nourrir.
Née catholique, Madonna s'est défroquée de son appartenance jusqu'à en faire un argument de vente, tout en continuant à en jouer avec ambivalence. Au niveau social, elle combat frontalement les interdits du Vatican. Elle plaide pour le droit des homosexuels en Russie ou incite les scouts américains à accepter les gays en leur sein. Luttant contre le sida, elle prône évidemment le préservatif. Mais ce qui m'amuse le plus, ce sont ses manœuvres flambantes et farceuses de transgressive sexuelle. Elle mime une masturbation avec un crucifix sur la chanson Like a Virgin, s'oppose au pape dans Papa Don't Preach ou évoque le sex-appeal de Jésus sur la Croix, homme nu entravé et mis à disposition des couguars concupiscentes. Tout cela est usé jusqu'à la corde, éventé comme une vieille eau gazeuse, mais ça me plaît bien plus que la soumission à une monogamie inégalitaire comme l'imposent les religions du Livre.
Je reconnais que le christianisme a toujours aimé les icônes enluminées et qu’il est plus simple de retourner la peau de lapin des injonctions quand les représentations sont déjà là. Cela dit, je souhaite à l’islam, qui bloque sur la mise en images de ses symboles, une jolie troupe de majorettes rebelles aussi délurées que Madonna.
La Marianne qui surplombe la place de la République est une forte femme, drapée dans la dignité de sa toge, harnais de maquisarde croisé sur la poitrine. Il faut dépoussiérer tout ça. Je compte sur Madonna pour s’appareiller d’un soutien-gorge à bout portant dessiné par Jean Paul Gaultier. Grandie à Detroit, cité abandonnée par le capitalisme, la «Material Girl» portera une salopette de mécano huilée de cambouis. Elle coiffera aussi le béret de Che Guevara qu’elle portait quand elle s’opposait à la guerre d’Irak menée par George W. Bush. Vu ses états de service, elle gardera au poing le rameau d’olivier que brandit sa devancière et qui témoignait de l’union espérée d’une France de querelleurs et de râleurs. Cela dit, pour qu’elle incarne réellement l’universalisme laïque, il lui faudra abjurer ce kabbalisme abscons qui me la rend un peu suspecte, à tout le moins étrange.
J’aimerais que, lorsque Madonna apparaîtra coulée dans le bronze, elle ne soit pas seule. Je verrais bien Malala Yousafzai l’accompagner. La jeune Pakistanaise plaide pour l’éducation des filles et lutte contre les talibans. Madonna l’a soutenue avant que Malala ne reçoive le prix Nobel de la paix. Au lieu de bécoter Britney Spears, l’Américaine pourrait bisouiller la jeune musulmane qui se tiendra à ses côtés.
J’avais d’abord pensé flanquer Madonna de Miley Cyrus, jeunette clonette équipée d’un godemiché pour femme à la puissance augmentée. Mais j’admets que ce serait un peu redondant. Ainsi haussée haut, Madonna abandonnera enfin son pseudo virginal pour devenir Marianne.