On trouve parfois des consolations inattendues. Il y a des apaisements qui vous saisissent par surprise. Prenez Xavier Bertrand expliquant à David Pujadas qu'il ne participera pas à la primaire de Les Républicains (LR), parce que, dit-il, «je ne me sens pas légitime». Cette phrase. Cette simple phrase. «Je ne me sens pas légitime.» Dans la bouche d'un ancien ministre, qui vient au surplus de gagner une élection. On a beau connaître depuis toujours l'exercice obligé du perdant qui a «entendu le message des électeurs», dont finalement l'aveu de Bertrand n'est qu'une variante, elle fait du bien, cette phrase. Elle apaise. Dans le tumulte des reniements, dans l'indécence des cumuls, dans le tapis de bombes des présumés légitimes de naissance, qui squattent à longueur d'années les ondes et les sièges, oui, elle fait du bien.
Et on rêverait qu’elle fasse école. On rêverait que Bartolone se découvre illégitime à remonter sur son perchoir après avoir perdu l’élection en dépit de ses insultes à son adversaire. Que Sarkozy renonce à son fauteuil après avoir mené son parti dans l’impasse. Que Hollande annonce tout de suite qu’il ne se représentera pas, ayant échoué lamentablement sur sa principale promesse. Que ce combat s’arrête faute de combattants.
Cette grande vague d’illégitimités ne concernerait pas que les politiques, d’ailleurs. On rêverait qu’analystes à éléments de langage, experts aveugles se découvrent soudain illégitimes. Et les journalistes ? Comment se sentir légitime, pour rendre compte d’un monde où Le Pen est qualifiable pour le second tour, où Valls explique qu’on se contrefiche des causes sociales du terrorisme, où Trump (voir la «Médiatiques» de la semaine dernière) est le favori de la primaire républicaine, où Poutine voudrait attribuer le Nobel de la paix à Sepp Blatter ?
Et le chroniqueur médias, tant qu’on y est ? En quoi est-il légitime, ou compétent, pour traiter de l’affaire du tweet de Marine Le Pen ? Mais si, voyons, le tweet de Marine Le Pen, l’a-t-on déjà oublié ? Une sorte de bouquet final de 2015. Toute l’année moribonde défilant en accéléré, dans un seul tweet. Une synthèse magistrale. Il paraîtrait - tenez-vous bien ! - que Marine Le Pen aurait tweeté une photo d’otage décapité par Daech. Embrasement immédiat de la grande machinerie. Le Pen et Daech dans la même info, c’est une gâterie inespérée, une occasion qu’on ne laisse pas passer, une proposition qui ne se refuse pas. Les deux icônes, les deux cariatides qui vont illuminer 2016 après 2015 : on aurait voulu résumer cette année, on n’aurait pas trouvé mieux. L’histoire, oui, est d’abord obscure. La présidente du FN aurait entendu à la radio Jean-Jacques Bourdin faisant «le lien» entre le FN et Daech. D’où le tweet des photos de torture, pour bien signifier (à qui ? à Bourdin ?) qu’il ne faut pas confondre, et qu’au Front national, on ne décapite personne.
Aussitôt, sans attendre les détails, les live s'emballent. Bernard Cazeneuve signale le tweet de Marine Le Pen aux plateformes antiterrorismes. Manuel Valls tweete que le tweet de Le Pen est ignominieux (ouf ! la gauche est toujours la gauche, elle est au taquet, No pasarán ! les tweets). Les micros se tendent vers la tweeteuse. Mais pourquoi donc a-t-elle tweeté ? Regrette-t-elle ? Il faut saluer au passage la modernisation du scandale politique impliquant la famille Le Pen. Le père scandalisait avec des mots (le «point de détail de l'histoire»). La fille scandalise sur les réseaux sociaux, ce qui est tout de même plus moderne. Pour le reste, c'est la même chose.
Bref, il s'avère que le décapité était le journaliste américain James Foley. Dont les parents s'offusquent du tweet (c'est beau, l'information mondialisée. Quand on pense qu'au XIXe siècle, il aurait fallu trois mois pour que les parents Foley aient connaissance du tweet de Le Pen). Aussitôt, Le Pen retire son tweet. Elle ne savait pas que c'était Foley (si le décapité avait été un décapité ordinaire, disons un copte, par exemple, l'aurait-elle laissé ?)
Bref, un chroniqueur médias qui se respecte devrait être capable de dégager les leçons de l’affaire. Ses grands enseignements. Ce qu’elle nous dit sur l’info en état d’urgence, sur la mondialisation, sur la radicalisation du débat politique. Peut-être même, de dégager les responsabilités. Qui a commencé ? Bourdin ? Le Pen ? Mais parfois, on renonce d’avance. On confesse son illégitimité. Avec quelque chose qui ressemble à du soulagement.