Menu
Libération
Chronique «Ré/Jouissances»

François Hollande est fier de toi ! Ben pourquoi ?

Dans ses vœux, le Président a salué la solidarité et le sang-froid d’un pays qui pourrait être moins brave, moins résilient et moins concerné que proclamé.
publié le 4 janvier 2016 à 18h11

Ce 31 décembre, il était étonnant d'entendre François Hollande lancer à un peuple réveillonneur : «Françaises, Français, je suis fier de vous.» Il exhortait les citoyens à passer d'un 2015 de «souffrance» et de «résistance» à un 2016 de «vaillance» et d'«espérance». Avant de ricaner, avant de renvoyer le compliment en boomerang biaisé, avant d'évoquer cette mauvaise manière sécuritaire qu'est la déchéance de la nationalité, voyons voir pourquoi le Président a des raisons d'être fier de ses concitoyens. Ou pas…

François Hollande est un canard sur les plumes duquel glissent affects et contrariétés. C’est un refroidisseur taquin et moqueur qui se laisse peu tournebouler par ses passions. Il est perçu comme un tacticien au petit pied qui gouverne au son des sondages comme d’autres surréagissent quand le buzzomètre fait tilt. Cette fois, difficile de mettre en doute une sincérité essoufflée, une émotion aggravée. Il flottait dans ces vœux un sentiment de perte et un effroi prospectif, j’ai bien dit prospectif.

Quand François Hollande évoque un pays qui a changé, il parle bien sûr aussi de son évolution personnelle. Cet être impavide et joyeux, masqué et guilleret, découvre sur le tard le tragique de l’histoire. Rien ne l’y a accoutumé à l’égal de sa génération de gâtés de la vie. Sa classe d’âge n’a pas connu la guerre d’Algérie. Elle a profité des avancées de 68 sans se prendre le moindre pavé sur le nez. Elle a fleuri en toute facilité avant le chômage et le sida.

On moque souvent les dirigeants, qui ne seraient plus bons qu’à inaugurer les chrysanthèmes. Aujourd’hui, François Hollande fréquente les hôpitaux et les cimetières. Il se confronte aux corps déchiquetés, console les familles éplorées, entend claironner la sonnerie aux morts, encore et encore. Le plaisantin aux joues rebondies écorche son empathie au granit du mur des lamentations. Et il en revient défait, déboussolé, désarmé.

Je ne sais si le général en chef évalue sa part de responsabilité dans la situation actuelle. Je ne sais s’il s’interroge pour savoir si les interventions au Mali et en Syrie ont précipité les explosions de rétorsion. Peut-être est-il trop polarisé sur les attentats à déjouer, sur les menaces à venir pour pleurer sur le lait renversé.

Sous le soleil d'Austerlitz, Napoléon félicitait ses grognards d'un : «Soldats, je suis content de vous !» Aujourd'hui, quand les Waterloo a minima se multiplient, François Hollande réconforte ses compatriotes d'un : «Je suis fier de vous !» Le Président est dans son rôle quand il tente de transfuser de la confiance. Mais il n'est pas certain qu'il y ait de quoi se réjouir de l'état des lieux, ni surévaluer les capacités de résilience du pays. Et ceci pour trois raisons.

1) Si François Hollande prêche l’union, il est des électeurs de plus en plus nombreux qui font sécession sous prétexte d’une fidélité flétrie à une identité rancie. Au FN, on se dit «fier d’être français» mais on n’ouvre grand les bras à personne, on chouchoute ses angoisses et on rêve de se blottir derrière des frontières old school.

2) Dans une logique tout aussi communautaire, il y a ceux qui, comme Tariq Ramadan (1), ne se veulent «ni Charlie ni Paris». Contestation du droit au blasphème et critique de la liberté de mœurs s’agrègent pour dessiner la caricature d’un fondamentalisme religieux. L’unanimisme compassionnel n’est un devoir pour personne, on est d’accord. Disons seulement que la société de l’individu autonome et émancipé me semble préférable à la vision des croyants qui invoquent le «respect», la «transcendance» ou la «spiritualité» pour masquer des régressions en matière d’éducation, de procréation ou de sexualité.

3) Autant François Hollande semble pénétré du danger terroriste au risque de l’hypersensibilité, autant une grande partie du pays prend autrement la mesure des choses. Dans les villages, les bordures, les confins, on a beau agiter sa peur en marionnette, on s’imagine à l’abri. On se dit que tout cela est une affaire d’urbains, de centraux, de cosmopolites. Et qu’au final, on ne sera pas touché, que ça passera à côté.

Pour finir, retournons la proposition. Pour que je clame «François, je suis fier de toi !» il faudrait d’abord qu’il cesse d’élaborer un Patriot Act à la française. Ensuite, il serait utile qu’il soit plus Rousseau que Hobbes, qu’il ne fasse pas enfler un Etat Léviathan mais refonde un Contrat social. Enfin, il serait bon qu’il demeure au-dessus de la mêlée, qu’il ne cède pas à l’opinion publique qui hurle au loup et réclame du sang. Cela fait, je pourrais saluer sa capacité à encaisser le choc, m’interroger sur l’état de ses traumas et, même, regretter ses vannes idiotes. Celles d’avant…

(1) Portrait de Tariq Ramadan dans Libé de lundi.