Selon les partisans de la déchéance de nationalité pour les terroristes binationaux nés en France, la mesure représenterait une arme «symbolique». Néanmoins, tant de personnalités politiques de gauche, et de droite, la dénoncent en sachant pertinemment que cette réforme n’a rien de «symbolique» - tout au moins dans ses conséquences institutionnelles et politiques.
Depuis Rome, il existe une constante dans l’histoire du droit occidental : les dispositifs dits d’«exception», destinés à combattre un fléau honni par le plus grand nombre, finissent par s’étendre jusqu’à devenir la norme. Les opposants de cette réforme soulignent alors une crainte légitime : admise d’abord pour les actes de terrorisme, la déchéance de nationalité pour les binationaux nés français pourrait gagner du terrain et inclure les infractions de droit commun, créant ainsi deux catégories de Français de naissance.
Pour les binationaux, la nationalité française serait conditionnée au fait qu’ils ne commettent pas de crimes, voire de délits. Elle serait ainsi transformée en une sorte de permis de séjour. Cette brèche qui s’ouvre dans le droit de la nationalité, permettant l’exception de terrorisme, n’a donc rien de «symbolique». Il aurait mieux valu la qualifier d’«idéologique» puisque, sous prétexte de combattre le terrorisme, cette mesure confirme les théories populistes pour qui ce fléau viendrait d’une immigration globale, et non de l’islamisme. Le terrorisme devenant ainsi non seulement l’ennemi à abattre, mais également un alibi à l’avancée de la xénophobie.
Autre problème : un gouvernement peut se permettre des mesures dites «symboliques» quand les autres, réelles ou pratiques, sont déjà mises en place et que l’ennemi semble maîtrisé. Quand une guerre contre un fléau politique majeur est gagnée, comme cela a été le cas avec la peine d’indignité nationale après l’occupation allemande. Hélas, la France reste loin d’avoir gagné la guerre contre l’Etat islamique et ses infiltrés locaux, tandis que des spécialistes dénoncent les nombreuses erreurs commises dans la lutte contre la radicalisation. Ne devrait-on pas en tenir compte, plutôt que de gaspiller du temps, des moyens et de l’énergie pour combattre l’ennemi avec une mesure «symbolique» produisant autant de clivages ?
Cela ne signifie pas qu’il faille dédaigner le symbolique lorsqu’une guerre n’a pas encore été gagnée, bien au contraire. Pour en produire, il suffit d’organiser des cérémonies au cours desquelles la nation exprime son unité et son indignation face à ceux qui menacent son existence et son régime politique. Le gouvernement actuel s’est d’ailleurs montré compétent là-dessus.
Cette forme de symbolique relève d’une haute importance, la guerre livrée par la France contre le terrorisme produisant trop d’émotions négatives. Nous avons besoin d’exutoires collectifs afin d’éviter que la peur et la haine ne remplissent les cœurs et les esprits. Et le gouvernement n’est pas forcé d’affirmer que ces cérémonies sont purement symboliques. Chacun les ressent comme des moments nécessaires et évidents. Si l’on cherche à faire entrer du symbolique à coups de marteau - en répétant «ceci est symbolique» - on peut être certain qu’il n’en sera pas réellement question.
Par cette mesure, le gouvernement peut sembler idolâtrer la nationalité française : les peines prévues contre le terrorisme paraissent alors incapables d’en amoindrir le scandale ou le sacrilège. Le terrorisme ne menace pas seulement la France, mais l’ensemble du monde démocratique. Sans compter que l’idolâtrie reste parfaitement contraire aux mœurs démocratiques qui - à la différence des théocraties totalitaires comme celle de Daech et autres régimes islamiques - tentent de chasser les dieux de la politique.