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Libération
Chronique «Politiques»

La déconstruction de l’Europe

C’est l’année de tous les dangers pour l’Union européenne qui va devoir faire face au référendum britannique, à l’arrivée continue de réfugiés et à la montée des nationalismes.

Publié le 20/01/2016 à 17h51

L’année 2016 se présente déjà comme l’année de toutes les incertitudes : la croissance va-t-elle, ou non, accélérer suffisamment pour faire reculer le chômage ? La France sera-t-elle touchée et blessée de nouveau par des attentats ? La Libye va-t-elle encore compliquer la bataille du Moyen-Orient ? Le flux migratoire vers l’Europe pourra-t-il être régulé ? A ces questions, qui occupent quotidiennement l’actualité, s’en ajoute une autre, cruciale, complexe, contradictoire : 2016 va-t-elle être l’année de la déconstruction de l’Europe ou, au contraire, l’année de son rebond ? Le rebond est une nécessité, mais la déconstruction est, malheureusement, une probabilité.

Il y a déjà une certitude : la pression migratoire ne va pas ralentir, mais son pilotage, déjà chaotique, sera en 2016 beaucoup plus difficile à réussir. En 2015, plus d’un million de demandeurs d’asiles, de migrants économiques, de réfugiés en provenance, pour l’essentiel, du Moyen-Orient, ont déferlé sur l’Europe. Ils ont été accueillis de façon contrastée, généreuse en Allemagne, dissuasive en France, hostile en Europe de l’Est. Tout cela s’est produit dans des conditions cacophoniques et improvisées, Schengen autorisant la libre circulation à l’intérieur de la zone mais les frontières extérieures relevant toujours de la souveraineté des Etats. Ce gigantesque exode a provoqué de l’émotion, de la crainte et du rejet. Cette année, après les événements de Cologne, la pression migratoire ne faiblira pas mais l’accueil sera nettement plus hostile. Faute de moyens suffisants et d’une politique commune, la crise paraît inévitable. L’Europe est innocente, les Etats sont coupables mais l’impopularité visera comme d’habitude Bruxelles.

Si la croissance repartait de façon vigoureuse, si le chômage reculait, la tension serait moindre. Malheureusement, si l’on peut espérer une légère accélération de la croissance, l’impact sur l’emploi ne sera pas suffisant pour intégrer aisément les nouveaux arrivants. La Banque centrale européenne (BCE) et la Commission de Bruxelles remplissent énergiquement, parfois audacieusement, leurs responsabilités mais les Etats membres, même au sein de la zone Euro, continuent à mener des politiques contradictoires. La relance collective se fait toujours attendre, et, dans ces conditions, l’Europe ne peut susciter aucun espoir significatif dans ce qui est en théorie son terrain d’action privilégié : l’économie. Devant la crise, les égoïsmes nationaux ont repris l’ascendant sur les ambitions communes. L’Europe était vécue comme une espérance, aujourd’hui, elle est ressentie comme une déception.

Or, elle va devoir gérer, en 2016, un double problème, le référendum britannique et la montée des nationalismes. Ce n’est plus une crainte, c’est une constatation : partout en Europe, ou presque, le souverainisme progresse et le nationalisme menace. En Hongrie, il exerce le pouvoir. En Pologne, il est revenu au gouvernement. En Europe de l’Est et, même en Scandinavie, il avance. En Allemagne, il réapparaît et les agressions sexuelles spectaculaires de Cologne le dopent. En France, il tangente la barre des 30 %. L’Europe offrait une alternative à la guerre, à l’extrémisme, à la pauvreté. Aujourd’hui, un vent mauvais se lève et le nationalisme, l’extrême droite, le souverainisme s’affichent de nouveau et paradent. L’Europe avait le visage de Jacques Delors. Désormais, celui de Marine Le Pen apparaît en filigrane.

David Cameron vient encore aggraver la situation. La Grande-Bretagne a tout fait pour empêcher la naissance de l’Europe. Depuis qu’elle s’est résignée à y participer, elle n’a cessé de multiplier les obstacles et les embûches. Maintenant, dès cet été, elle va voter pour décider d’y rester ou d’en sortir. Le mois prochain, le Conseil européen adoptera un de ces compromis rituels pour l’encourager à rester. Cela ne satisfera évidemment pas les europhobes. Ceux-ci, soutenus par des médias hystériques, qui traitent Jean-Claude Juncker comme s’il se comportait en Bismarck, peuvent l’emporter dans quelques mois. Si cela se produit, la déflagration sera continentale. L’Europe sera en échec et les souverainistes seront les vainqueurs. Une contagion et même une pandémie antieuropéenne sont à craindre. La riposte logique serait que la zone euro accélère enfin son intégration, se dote d’un exécutif, d’un Parlement démocratique, fasse converger ses politiques. L’initiative ne pourrait venir que de Berlin et de Paris, seuls capables d’entraîner les autres. Encore faudrait-il qu’Angela Merkel et François Hollande en aient l’audace et la résolution, qu’ils sortent enfin des éternelles demi-mesures européennes. Leur situation personnelle n’est pas au pinacle, et la témérité ne les attire pas. Ce quitte ou double constitue cependant la seule issue crédible. C’est l’intrépidité ou la dislocation.