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Libération

Les politiciens, la plume entre les dents

La France n’a pas que des fromages, elle a aussi des écrivains. Comment espérer être élu si on n’a pas été fichu de publier le moindre livre ?

Publié le 22/01/2016 à 19h01

Si j’ai bien compris, la France est la terre et la mère de la littérature (et des armes et des lois). Si on veut être un homme politique qui se respecte, il faut écrire un livre. Ça aurait pu être chanter une chanson ou faire un dessin, mais non, c’est publier un livre. C’est comme si les politiciens n’avaient pas assez de tribunes avec la télévision, la radio, Internet, les meetings. Tout ça ne servirait à rien si ce n’était pas couronné par un livre.

Cette semaine, c’est Nicolas Sarkozy mais Jean-Luc Mélenchon, Alain Juppé, François Hollande, Marine Le Pen, tout le monde y est passé. On espère qu’ils ont des militants à leur solde pour les écrire parce que eux sont censés avoir autre chose à faire, surtout s’ils doivent attendre l’inspiration (ce serait paradoxal que des gens qui n’ont pas le temps d’écrire leurs discours aient celui de composer leurs livres) : «J’ai une bonne idée sur le chômage mais ça ne fait que onze syllabes. C’est bien douze, un alexandrin ?» Bientôt, peut-être, les prétendants à l’Elysée devront avoir réalisé un film (où certains se mettront vraiment à nu) ou fait une bande dessinée. Mais pour l’instant, les descendants de Chateaubriand, Lamartine et Victor Hugo en sont encore au livre. «Moi toujours Président, si je suis réélu / Je serai sûr alors que l’on m’aura bien lu.» Ou : «France, mon beau pays, patrie des m’as-tu lu / En tant que Président, je serai ton salut.»

Il est vrai que les hommes politiques n'en sont pas à une fiction près. Le destin de la France tient peut-être en un seul volume. Plein de titres s'offrent à eux : A la recherche du temps perdu ; les Infortunes de la vertu ; Vingt Ans après ; Par-delà le bien et le mal ; les Affinités électives ; J'accuse… Les politiciens devraient aussi publier leurs journaux intimes et leurs poésies d'adolescence, leurs lettres au père Noël, qui ne sont pas sans annoncer quelques programmes à venir - qu'on sache un peu mieux à quelle sensibilité nous avons affaire (car gauche et droite, c'est trop grossier, humainement, comme différence).

Quelques vers écrits par les uns et les autres entre 8 et 12 ans sont parvenus jusqu'à nous. C'est l'alors jeune Alain J. qui aurait écrit : «Aujourd'hui, elle m'a souri. Dieu merci, elle aussi a compris que je suis le meilleur d'entre nous.» Le jeune Nicolas S. : «C'est dans la poche. Le prix de camaraderie, je vais le chercher avec les dents.» Le jeune François H. : «J'ai décidé à partir d'aujourd'hui de noter toutes les blagues et, quand je serai grand, je ferai un livre que j'appellerai "le Pacte d'hilarité".» La jeune Marine L.P. : «Si on était moins nombreux dans cette classe, ce serait plus facile d'être la première.» Pendant le quinquennat, le Président nous lirait chaque jour une page de son work in progress, un feuilleton dont on attendrait impatiemment la suite. «Chômage, infâme chômage, une fois de plus tu te dresses sur ma route. Mais je vais te faire courber l'échine et nous verrons demain si tu fais autant le fier face à ma nouvelle idée.» Et la France entière s'arracherait, le moment venu, le nouvel épisode. Car, si j'ai bien compris les Français unanimes, / Lecteur et électeur sont chez nous synonymes.