Elle vient de retirer ses vêtements comme elle en a l'habitude. Elle a juste gardé une paire de basket roses. Elle est Suisse, vit à Düsseldorf, se nomme Milo Moiré (1) et elle est versée dans le body art. Dans le froid, devant la cathédrale de Cologne, elle brandit une pancarte où il est écrit : «Respectez-nous ! Nous ne sommes pas du gibier même quand nous sommes nues.»
Sa nudité affirmée n’en fait pas une proie facile à faire monter au gibet des libertés, ni une bête éventrée à suspendre à un croc de boucher puritain, encore moins une carcasse d’indépendance à désosser à la machette des interdits.
Elle se prénomme Milo et c’est une Vénus conceptuelle à qui les bras sont tombés quand elle a vu ce qui s’était passé la nuit de la Saint-Sylvestre. Sa démonstration déshabillée est une protestation contre les agressions sexuelles qu’auraient commises de jeunes Maghrébins (2). Son apparition frigorifiée cible aussi les prudences embarrassées de la maire de la ville qui conseille de prendre ses distances, un peu comme on faisait pendant les cours de gym à l’ancienne où il fallait tendre le bras pour éloigner l’épaule des voisins. Et son manque de tenue s’inscrit enfin en faux contre les islamos-féministes qui vont finir par obliger les jupes à rallonger et les poitrines à se dérober aux regards concupiscents de ces salauds de mecs.
La performance de Milo Moiré dit que, habillées ou non, voilées ou dévoilées, les femmes n’ont pas à se laisser intimider. Mais ça dit aussi que l’Allemagne où l’on bronze les fesses à l’air dans les jardins publics n’a pas à rougir de ses facilités ni à les adapter aux pudibonderies importées. Et ça dit encore que la culture de l’orgie est un apprentissage paritaire nécessaire, afin que les désirs soient toujours de sortie et de rencontre.
Elle est nue et elle se tient tout près de la gare centrale où l’on s’en est pris à ses sœurs en décontraction, en festivité, en mixité. Elle cosigne par l’exemple la chronique où Marcela Iacub (3) proposait une mise à poil généralisée pour faire pièce au contrôle des corps que tentent toujours d’exercer les religions, islam compris évidemment.
Milo Moiré est nue parce qu’elle aime ça. C’est à la fois un goût marqué pour l’exhibition, un sens aigu de l’autopromotion et une déclaration d’intention qui tient du manifeste. Elle affirme que la nudité est un facteur d’égalité qui permet de rompre avec les diktats de l’apparence et de dépasser les différences sociales. Ce qui ne l’empêche pas de standardiser un corps de Barbie qui respecte les canons du genre.
Publiquement nue, Milo Moiré n’est pas pour autant une Femen. Ses combats ne sont pas frontaux et ses provocations sont autant de dispositifs interrogatifs. Les Femen se tatouent des slogans hurleurs sur la poitrine. Avec panache, elles partent sonner les cloches des curés dans les églises ou bouffer du croissant dans les mosquées. Quand Milo Moiré use du feutre noir, c’est moins épidermique, plus moqueur.
Elle a beau n’avoir que la peau sur les os, la chair de sa chair est quand même la matière grise de son œuvre. Sur son torse, elle écrit «shirt». Sur ses seins, «bra». Sur ses cuisses, «pants». Plus besoin de faire les soldes ! Un rien l’habille. Et elle file à l’anglaise se balader dans les transports en commun pour rhabiller pour l’hiver les conventions. Certains usagers la regardent en coin. Mais ils sont nombreux qui ne remarquent rien, esclaves de leurs routines.
La fille de Cologne est une artiste qui aime se mettre nue quand longtemps les peintres ont préféré représenter des modèles dans le plus simple appareil. Pour interroger sa féminité, elle remonte à la source. Elle introduit un œuf coloré dans son vagin. Ensuite, au vu et au su de tous, sinon ce n'est pas drôle, elle le «pond» sur la toile où il s'éclate. Cela n'est pas d'une originalité folle car depuis les années 60, le monde de l'art chérit les performances. Michel Journiac a servi un boudin fait de son sang. La copine de Lady Gaga trempe son pinceau dans son vomi. Une Luxembourgeoise compare son sexe à l'Origine du monde à Orsay. Après les attentats, Milo Moiré, elle, attente à la pudeur devant la Tour Eiffel, histoire d'exercer sa liberté.
Si elle se dénude, elle ne prône pas le dénuement. Ses vidéos hards sont payantes quand les teasings postés sur les réseaux sociaux portent des sparadraps noirs sur les tétons. Car Milo Moiré ne déteste pas qu’on l’apparie au porno. Elle aime ces hybridations où le respectable copule avec le réprouvé. C’est ce que permet l’Europe libidineuse dont elle est une enfant gâtée qui ne veut renoncer à rien.
(1) Libération du 20 janvier.
(2) Libération du 23 janvier.
(3) Libération du 16 janvier.