Je suis le cochon breton et je ne me sens pas très bien. Pendant un demi-siècle, j’ai été le héros trivial et populaire des campagnes de l’Ouest profond. A petit pas entravés sur mes sabots vernissés, j’ai apporté le confort moderne et rempli les comptes d’épargne des paysans et les écuelles du Crédit agricole. Bien sûr, j’ai fait du dégât écologique aux alentours, mais il faut savoir ce que l’on veut.
Et voici que, tout à coup, je ne vaudrais plus rien ? Sur le pèse-personne du marché au cadran, mon kilo de bidoche cote tout juste un euro. Mes concurrents européens me taillent des croupières dans le jambonneau. J’ai beau truster la moitié des linéaires charcutiers du pays, j’ai le sentiment que la France me vomit. Mon avenir tourne en eau de boudin. Et mon moral se noie dans le ciel bas qui pèse comme un couvercle sur les cocottes veggies. Je suis le cochon breton et, ces temps-ci, l’on me coiffe du bonnet rose des révoltes porcines pour imiter les Bonnets rouges des environs qui ont réussi à avoir la peau de l’écotaxe.
Mascotte des jacqueries locales, je suis habitué à la manœuvre. Porcelet, on me lâche dans la cour des sous-préfectures. Truie qui doute, on m’amène mazouter les voies express et bloquer la circulation. Et avant que ma carcasse ne tremble, ce sont les cargaisons de salaisons importées qui brûlent sur les parkings des supermarchés.
Longtemps, j’ai tiré profit de ces stratégies d’intimidation, rituels réglés où le corporatisme et le poujadisme ne vont pas sans un sens achevé de la commedia dell’arte. Je couinais mon grouik grouik. Paris s’alarmait et Bruxelles accommodait les facilités. Mais la PAC n’est plus. La concurrence est pleine et entière, uniquement faussée par le dumping social et fiscal des pays voisins. Et c’est pourquoi je me retourne sur mon matelas en caillebotis, inquiet d’un avenir avarié.
Je suis le cochon breton et j’ai longtemps aimé d’amour tendre l’Union européenne aux mamelles abondantes. Bruxelles la fédérale me permettait de faire la nique à Paris la colbertiste, sans pour autant avoir à m’enkyster dans un indépendantisme microscopique. J’étais roux et rose, rond et mignon. Il n’y avait que la peau tendue de mon ventre replet qui comptait. Pour faire plaisir à ma marraine de guerre économique, je me disais chrétien-démocrate et social-rhénan.
Mais là, ça noircit à l’horizon et je ne vois venir aucune embellie. Les décideurs impuissants me prédisent la fin de l’embargo russe ou un retournement de conjoncture. Ils parlent même d’offrir des subventions à la reconversion de ceux qui m’élèvent comme ils peuvent. Je vis ça comme un abandon en rase campagne. D’autant qu’alentour, on ferme les abattoirs où je me rendais allègre et guilleret. Les élections approchant et Marine paradant, il me vient parfois l’envie de démontrer que tout est mauvais dans le cochon.
Je suis un porc pathétique qui sait qu’il a beaucoup à se faire pardonner. J’ai trop tardé à abjurer mes gloutonneries productivistes pour m’assurer la sympathie de ceux qui se mobilisent pour les requins mangeurs de surfeurs mais veulent me boxer le groin fouisseur.
Il est vrai que j’ai crotté de tout mon lisier les rivières bretonnes et les mers en bordure. Avec les artichauts et les choux-fleurs, je suis le responsable de ces algues vertes qui empuantissent l’atmosphère et qui salopent les rias et les abers. J’ai bien essayé de donner des gages. J’ai arrêté de me gaver de farines animales ou d’antibiotiques. J’étais prêt à me remettre à manger des épluchures, mais il était trop tard pour faire le ménage. D’autant que mes rivaux étrangers n’ont pas cédé à la même honte cannibale ni suivi la même détox pharmaceutique.
Je suis le cochon breton et je me sens abandonné à mon triste sort. La grande distribution se fiche de produire maison et d’étiqueter traçable pourvu qu’elle tire les prix vers le bas. En hipster hypocondriaque, le consommateur surveille son taux de cholestérol tout en méprisant la charcutaille nationale, préférant hésiter entre boulgour, quinoa et légumes racines. Et je ne vous parle pas de ceux qui ont la religion à l’estomac, halal, casher ou vegan, et qui, pour la peine, veulent me passer par l’épée des repas de substitution.
Rosé comme un goret efféminé, parfois j'envie les livrées noires de mes cousins du Sud. J'aimerais être un pata negra boulottant les glands dans une finca de Salamanque. Je me verrais bien en Basque à béret de la vallée des Aldudes. Ou alors en maquisard corse, brouteur de châtaignes. Ils bénéficient d'un régime de semi-liberté. J'ai préféré le confort automatisé des rendements élevés. Qui finiront par faire de moi une espèce en voie de disparition.