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Libération
Chronique «Réjouissances»

Nique ta grammaire !

Soutien abusif à la réformette de l’orthographe et précis de déconstruction d’une langue compliquée, mal accordée à l’accélération des échanges et à l’accueil des déficiences.
publié le 8 février 2016 à 18h01

Dans quelques paragraphes, je vais, comme d’ordinaire, jouer les marlous de l’argumentaire et maroufler la carcasse de mon propos de théories péremptoires. Avec outrecuidance, je vais plaider pour la simplification la plus drastique qui soit d’une orthographe ridicule et précieuse qui ne fait qu’aviver les clivages sociaux et culturels. Et je vais démontrer que cette crispation isole une France vieillotte derrière les piquants hérissés de sa langue surchargée d’illogisme.

Mais je dois vous avouer que la première raison de mon soutien à cette réformette est que cela va grandement me simplifier la vie (1). Je suis un handicapé de l'accent qui, avant que les claviers ne triomphent, se débrouillait pour noyer la différence entre aigu et grave par une graphie indistincte. Maintenant, mes amis correcteurs et éditeurs me tirent d'affaire sans que je ne m'en rende vraiment compte. Cette fois encore, tout repose sur eux…

Je n’ai compris que sur le tard la manière de ne pas mettre tous mes «e» dans le même panier. Alors vous pensez bien qu’accrocher à la patère du comme-vous-voulez ce sombrero à voyelles qu’est le circonflexe me transit de reconnaissance. J’ai bien compris que seuls le «i» et le «u» étaient concernés. Mais si on consentait à y ajouter le «a», le «o» et surtout le «e», cela me vaudrait une exaltation toute rimbaldienne.

Je suis aux anges de pouvoir manger croquemadame et millefeuille tout en jouant du tirebouchon sans avoir à ouvrir d’un tiret mon portemonnaie. Cela dit, je me débrouillais moins mal en traits d’union qu’en pluriel des mots composés. En cette matière, ma perplexité est abyssale et a déréglé les plus solides pèse-lettre(s). Je me réjouis aussi que les anomalies préférées des locuteurs à petits doigts en l’air prennent vapeur et que soit restauré a minima un cartésianisme bien absent du champ lexical français. Je suis ravi que les iconoclastes gracieux aient enfin le droit de décapiter les icônes pleines de grâce. Et je félicite les académiciens de la toilette de chat faites aux «usages incohérents et arbitraires».

J’arrête (un flexe ou pas ?) là ma démonstration, car je suis au bord de me prendre les pieds dans le tapis de nénufars et de pleurer de honte toutes les larmes de mon corps avant d’avoir épluché le moindre o(i)gnon. Mieux vaut cesser le funambulisme de qui veut faire le malin sans en avoir les moyens. Revenons à un argumentaire moins risqué.

1) L’intérêt de ce dépoussiérage est qu’il est peu contraignant. L’orthographe est soumise au darwinisme de l’usage. Ce qui relève de la loi de la jungle mais aussi de la démocratie participative. Nous verrons bien demain si on se décide à manger des «taliatelles» et de la «paélia» en buvant du «ponch». Ou si on préfère continuer à cultiver le «n», j’ai dit «le» n pas «la» haine, d’un patronat qui aime tant patronner et plastronne d’autant plus qu’il a trouvé en Macron son mirliton.

2) Cette évolution décidée de longtemps est assez régalante. Car c’est l’Académie française qui, en réalisant un lifting de 4 % du lexique, prend de front les tout-fout-le-camp. Cela à l’heure où le maître de mélancolie identitaire, Alain Finkielkraut, entre quai Conti. Les pédagogistes de la rue de Grenelle peuvent se frotter les mains et se tourner les pouces. Aux habits verts de se dépatouiller de ce botoxage qu’ils assument à reculons, anxieux de désespérer les scrogneugneux qui s’accrochent aux traditions au lieu de penser l’évolution des choses.

3) Prolifération des textos oblige, il serait intéressant que Finkie et ses nouveaux amis se penchent sur la révolution phonétique qui emporte tout. Aujourd'hui, le français de smartphone s'écrit comme il se contracte, se jacte et se cataracte. Il va falloir organiser cette mutation, déstabilisante et stimulante à la fois. Le classicisme de la langue est trop alambiqué, ses exceptions trop délirantes, pour en rester là. Si l'on veut que le pays tienne table ouverte, il faut inventer un français pingouin comme il existe un Pidgin English. Ce qui permettra de se dandiner sur la banquise orthographique afin d'atteindre petit à petit le pôle magnétique de l'excellence sans attaquer le permafrost du sens.

4) Oui, il y a le terrorisme et le chômage, auquel on ferait d’ailleurs bien d’enlever le haut sur le «o». Mais cela fait un bien fou de s’empailler à nouveau pour des causes aussi peu fatales où les anathèmes ont le tranchant des épées de bois. Lors des guerres du vocabulaire, il n’y a pas mort d’homme. Il y a juste des mots auxquels on coupe le sifflet, des formulations qu’on jivarise et des expressions auxquelles on émince le rognon. Cela nous change des mitraillages autour de l’islamophobie que j’écrirais bien islamofobie, mais il est possible que j’ai encore tout faux en la matière.

(1) Lire Juliette Deborde sur Libération.fr.