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Libération

La «société apaisée» de Marine Le Pen

Lundi 8 février, la présidente du Front national était invitée au journal télévisé de TF1. Elle a annoncé officiellement sa candidature à la présidentielle de 2017.
publié le 10 février 2016 à 17h21

Marine Le Pen est de retour. S’appliquant à sourire, s’efforçant d’être aimable, elle a rompu sur TF1 sa trêve médiatique. Au lendemain du séminaire de l’état-major du Front national, elle a ainsi inauguré le nouveau ton qu’elle veut désormais employer, celui, pour reprendre le slogan de sa campagne d’affichage, de la «société apaisée». Voici la saison 2 de la dédiabolisation du FN qui commence.

Les raisons de Marine Le Pen sont évidentes. Pour l’extrême droite, 2015 a été l’année de toutes les contradictions. Jamais de son histoire elle n’avait atteint des scores de premier tour aussi encourageants, jamais elle n’avait buté sur des seconds tours aussi frustrants. Qu’il s’agisse des élections départementales ou régionales, le FN a battu ses records, le premier dimanche, atteignant jusqu’à 28,6 % des suffrages et tangentant même dans certaines circonscriptions les 40 %. Une prouesse inédite aussitôt suivie, le dimanche d’après, par une lourde désillusion, le FN échouant à arracher la moindre présidence de conseil départemental ou régional. Les pronostics et les sondages lui promettaient pourtant des succès hautement symboliques. Les Français en ont décidé autrement. Ils sont assez furieux, frustrés, anxieux, amers pour voter en nombre FN au premier tour mais ils se refusent à ce que l’extrême droite accède au pouvoir. Le fameux «plafond de verre» a tenu. L’extrême droite est devenue le principal véhicule protestataire mais elle continue à faire peur.

D'où le nouvel objectif de Marine Le Pen : rassurer. Pour cela, le parti d'extrême droite doit présenter son programme de façon moins anxiogène, et Marine Le Pen, elle-même, doit adoucir sa propre image. C'est une stratégie réaliste, reste à savoir si c'est une stratégie réalisable. En ce qui concerne la fille de Jean-Marie Le Pen, la tâche apparaît ardue. Marine Le Pen est une guerrière, une guerrière brutale, talentueuse et vindicative. Selon le sondage TNS Sofres pour le Monde, publié vendredi 5 février, les Français lui reconnaissent de l'énergie, de la force et de l'autorité. En revanche, ils ne la jugent ni sympathique, ni honnête, ni, surtout, pourvue des qualités qui font une présidentiable, c'est-à-dire, la stature et l'envergure. Peut-elle corriger cette image en un an ? Peu probable. Jacques Chirac a mis quinze ans à modifier la sienne, au départ celle d'un officier de dragons cassant, violent et autoritaire, à l'arrivée celle d'un président humain, chaleureux et prudent. Entre-temps, deux échecs à l'élection présidentielle. Le style de Marine Le Pen en meeting, ou en débat, à la télévision ressemble beaucoup plus à celui du premier Chirac que du deuxième. Diane ne peut pas devenir Junon en douze mois.

Quant au Front national lui-même, modifier son allure, respectabiliser son style, modérer son programme, il va s’y employer mais il aura bien du mal à y parvenir. En raison de son tempérament, d’abord : l’extrême droite ne peut vivre et prospérer que dans l’attaque et dans l’excès. Se notabiliser est un risque, se pondérer est une impasse. En Italie, le postfasciste Fini l’a vérifié à ses dépens, alors que la Ligue du Nord, toujours plus populiste, toujours plus xénophobe, s’impose et avance. Par ailleurs, le fonds de commerce du FN, son terrain de prédilection, son arme la plus redoutable, c’est la guerre contre l’immigration, contre l’islam, contre les musulmans. La pression migratoire venue du Moyen-Orient et le spectre des attentats vont dramatiser encore plus le sujet cette année. Le FN ne renoncera certainement pas à l’exploiter, à le caricaturer et à en faire son instrument de conquête électorale. Il se voudra le plus combatif, il sera le plus clivant.

Même chose avec la sortie de l’euro et de l’Europe. Marine Le Pen n’y renonce pas, mais elle veut maintenant faire croire qu’il peut exister une rupture tranquille et rassurante. La campagne référendaire britannique va démontrer que la sortie de l’Europe est, au contraire, un sujet incandescent. Quant à la sortie de l’euro, outre qu’elle peut disloquer la monnaie européenne et déclencher un incendie monétaire, elle s’accompagnerait, inévitablement, d’une fuite instantanée des capitaux, d’une flambée des taux d’intérêt, d’une grève des investissements, d’un renchérissement de tous les emprunts, d’une dévalorisation de tous les biens et, compte tenu du programme totalement démagogique du FN, d’un creusement abyssal des déficits. Difficile de rendre ces perspectives attractives et sécurisantes. Quand Marine Le Pen parle de société «apaisée», c’est aussi crédible que si François Hollande parlait d’une société euphorique.