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Libération

Quoi de neuf ? La Noah nostalgie !

Captain’ Yann reprend les rênes de l’équipe de Coupe Davis et ravive la ferveur d’un temps où les identités fusionnaient et les peaux se mêlaient.
publié le 7 mars 2016 à 17h11

Yannick Noah est de retour. Et c'est une nouvelle qui donne envie de brailler à tue-tête Saga Africa et de faire la chenille en tenant par les hanches des gaillards en tenues blanches marbrées de l'ocre de la terre battue. Le chanteur, qui dans une première vie gagna Roland-Garros, redevient capitaine de l'équipe de France. Au-delà de la problématique sportive, il ranime la nostalgie d'une époque où le métissage semblait l'horizon rêvé de l'humanité, où l'antiracisme se parait d'innocence et où la diversité était une chance à saisir par les dreadlocks.

Métissage

Le cas Noah raconte une fable qui fait du bien, celle du mélange qui fait avancer la France. Dans les années 80, le souvenir de l’esclavage s’estompe et la mémoire du colonialisme se fait étonnamment discrète. L’outre-mer est loin et la métropole n’a pas à se coltiner la honte officielle d’une politique de sécession ou d’apartheid.

Noah est le fils d’un footballeur camerounais et d’une basketteuse ardennaise. Aux Etats-Unis, toute goutte de sang noir vous fait nègre. Ici, le Black et le blond colorent le café au lait en arc-en-ciel de possibilités. Le pays s’enthousiasme pour ce prototype humain qui transcende les appartenances et séduit tous azimuts, publicité vivante pour les mariages mixtes. Aujourd’hui, Noah reste un excellent talisman contre les montées de lait identitaires et les goitres d’obscurantisme religieux. C’est un Obama en plus instinctif, en moins nonchalant, en moins timoré. C’est un Mandela en plus guerroyeur, en moins conséquent, en moins réconciliateur. Au-delà de la comparaison impossible avec ces figures exagérées, il y a, chez Noah, un optimisme de la volonté doublé d’une décontraction multicolore qui ravive la confiance en soi d’une nation abîmée.

Antiracisme

Dans les années 80, ils sont deux à porter l’espoir que, demain, la couleur de peau ne sera plus un appeau à bêtise, un appât à haine. Il y a Yannick Noah qui va lancer l’association Fête le mur pour initier au tennis les gamins des quartiers. Et il y a Harlem Désir. Coiffure à la Angela Davis, phrasé habile et maîtrisé, le président de SOS Racisme est le précurseur d’une culture de l’indignation mise en musique. On peut tordre le nez mais celle-ci mérite d’être célébrée, en particulier pour s’être évité de trier entre les réprobations.

Aujourd’hui, SOS Racisme est moqué quand son influence perdue devrait être regrettée. A la place, des manœuvriers communautaires tentent de s’arroger l’étiquette antiraciste alors que leur seule ambition est d’interdire la critique des religions et d’abolir le droit au blasphème. Au fil du temps, Harlem Désir a perdu sa toison d’or brun dans la défense de causes difficiles, celle du PS et de l’Europe.

Noah, lui, a failli singer la mécanique Johnny, histoire d’en remontrer au parrain du show-biz. Devenu chanteur de variété aux pieds nus, l’athlète est trop compétiteur pour ne pas ambitionner de finir numéro 1 dans sa partie. Mais, il n’a jamais oublié de transmettre de l’émotion et n’a jamais mesuré une folle générosité. Côté politique, il a eu ses coups de sang contre le FN et contre Sarko et ses coups de cœur pour Hollande. Ce qu’on n’aura garde de lui reprocher. Grande gueule qui adore être le centre d’intérêt permanent, Noah évite au moins la langue de bois.

Diversité

Noah est un adjudant intelligent, un «en avant les petits gars» zen et psychologue, un chef de commando pacifiste. Il aime fédérer des individus, coaguler des égoïsmes, transcender des solitudes. Il veut lester de beaux moments partagés, de violences supportées et de folies exaltées, le sac à dos de sportifs qui vivent dans une bulle hygiéniste et dorée. Noah pourrait faire de la politique si celle-ci était encore une aventure épique. Il pourrait aussi jouer dans un film où un héros du passé sort de sa retraite pour apprendre la vie à quatre blancs-becs. Il a 55 ans et se retrouve à cornaquer des types de 30 ans, anxieux de n’avoir rien gagné alors que la fin de carrière menace. Il n’est pas sûr que les quatre «mousquetaires» (Monfils, Gasquet, Tsonga, Simon) ne traiteront pas Noah comme leurs lointains devanciers le firent avec Richelieu. Rien n’est écrit. La fascination peut se désagréger. Papi Yannick peut être renvoyé à son passé idéalisé.

Pour éviter cela, Noah manie le symbole, tout en restant fidèle à sa vision du monde. Et voilà pourquoi les «bleus» se retrouvent en Guadeloupe dans une touffeur à la Koh-Lanta et tiennent conférence de presse au Mémorial Acte, lieu d’évocation de la traite négrière. Et voilà pourquoi le gourou vieillissant rejoint le stade à vélo via 15 kilomètres de nationale dangereuse quand ses troupes prennent la navette. Histoire de se convaincre que tout peut recommencer, le chef de bande a besoin des excès d’implication et de mortification qui précédent les dégagements hédonistes. Comme s’il fallait vivre trop fort pour essayer de vivre ensemble.